11 août 2025

La nuit et moi : une longue histoire de désamour

Le marchand de sable
(extrait du recueil :"Mes histoires farfadesques")


Brusquement, le sommeil, s’est saisi de moi et m’a prise en otage sans ménagement !
Cela faisait des heures que je le fuyais avec une détermination à faire envie aux plus invétérés des couche-tard mais il a tout de même fini par me rattraper ce bougre de marchand de sable ! Pas le temps de dire ouf ! Le fieffé ensableur m’a balancé une grosse poignée de sa poudre de perlimpinpin en plein dans les mirettes ! Pas pu l’éviter ! Bon sang de bois, il vise encore bien pour son âge !
Et moi, pauvre cloche complètement sonnée, je n’ai rien trouvé de mieux à faire que de me frotter les yeux comme une forcenée, empirant la brutale envie de dormir qui s’est emparée de moi.
Je l’ai pourtant entendu venir ce grand benêt au doux regard, perché sur son nuage cotonneux ! C’est qu’il devient poussif avec le temps le vieux copain de Nounours et de ses protégés, Nicolas et Pimprenelle. Il est bien loin le temps où, fringant pilote de son blanc taxi du ciel en forme de barbe à papa, il envoyait pléthore de minots au lit, aidé dans sa quotidienne tâche vespérale par son complice en peluche dont la grosse voix prononçant le rituel « Bonne nuit les petits !», ne faisait même pas peur !
Mais à présent, son teuf-teuf magique est tout gris. Il broute les nuages fuligineux et son moteur dans le temps silencieux, a maintenant bien trop souvent de sonores et très inquiétants ratés. La pollution est passée par là ! Alors tout comme son véhicule céleste même plus coté à l’argus, le vénérable semeur de sommeil tousse et crache ses poumons! Voilà pourquoi on l’entend rappliquer de loin ! Et puis il fatigue ! C’est qu’il est tout seul à bosser !
Entre temps, en effet, pépé Ours a été mis à la retraite, usé jusqu’à la trame par des années de labeur. Il finit de rendre l’âme dans un grenier. Ses yeux de verre ternis ne voient plus que le fond de la malle où il git, pauvre joujou démembré. Son ventre crevé laisse échapper ses entrailles de paille au milieu desquelles niche une famille nombreuse de souris ! Quelle déchéance pour la grosse peluche débonnaire qui flirtait avec les étoiles. Quelle sordide fin de vie ! Ou fin de mort plutôt !
Alors pour le Marchand de sable, ces heures sup’ en solitaire vraiment, mais vraiment mal payées, c’est la goutte d’eau polluée qui fait déborder le vase ! Le travail de nuit, il en a ras les baskets ! Et respirer de l’air empoisonné aussi ! Il a beau avoir la tête dans les nuages, il a les pieds sur terre et il sait qu’à son âge, il n’y a pas de reconversion possible ! Sans compter qu’il n’a même pas le droit de démissionner, vu que la direction ne lui trouve pas de remplaçant !
Du coup, il est beaucoup moins patient, beaucoup plus brut de décoffrage dans l’exercice de sa profession devenue très ingrate de dispensateur de doux rêves ! Il faut dire aussi que les mômes d’aujourd’hui sont bien plus récalcitrants que ceux qu’il saupoudrait autrefois de galéjades et de poussière d’or ! Pour compléter le sinistre tableau noir de ses nuits blanches, afin de gagner un peu plus- si peu- il a dû étendre son activité aux adultes qui ne sont guère plus sages que les enfants lorsque vient le moment d’aller au lit ! De plus, vu la conjoncture économique morose et la perpétuelle augmentation du coût de la vie, il n’a même plus les moyens de jeter du sable ! C’est de la suie qu’il balance désormais !
Bien pour ça que j’ai des cernes !
Quant à Nicolas et Pimprenelle, ils ont troqué leurs douillets mais ringards vêtements de nuit en pilou contre des fringues dans le mouv’! Pour s’évader d’un réel pas très gai, ce n’est plus du sable qu’ils respirent ! La poudre qu’ils sniffent les envoie direct au septième ciel d’un univers psychédélique auprès duquel le monde merveilleux et magique du marchand de sable de leur enfance, leur paraîtrait bien pâle s’ils s’en souvenaient encore !
Voilà pourquoi, dégoûté du métier le brave homme ne l’exerce plus que forcé et contraint ! Ou devrais-je plutôt dire, que forçant et contraignant !
Voilà pourquoi il s’est brusquement saisi de moi, m’infligeant le sommeil comme une punition, me l’imposant sous la menace d’une nouvelle poignée de son sable au rabais si je n’obtempérais pas immédiatement !
« Et ensuite ? » Me demanderez-vous peut-être ?
Ensuite, mes paupières encrassées de suie se fermant malgré moi, je me suis retrouvée jetée manu militari sous la couette rose du lit que l’une de mes petites filles occupe lorsqu’elles viennent toutes deux en vacances chez nous…
« Parce qu’en plus, tu voudrais réveiller ton mari qui lui, dort comme une marmotte depuis des heures ? Non mais ! » M’a tancée vertement le vieux marchand de sable.
« Et ensuite ? »
Brusquement, je me suis réveillée avec l’impression saugrenue qu’une grosse voix me criait dans l’oreille :
« Hop faignante ! Debout ! Tu as assez dormi ! »
Près de ma tête encore posée sur l’oreiller, le « Bisounours » de Margot paraissait me sourire ! J’ai même cru voir le cœur rouge clignoter ironiquement sur son torse pelucheux !
Entre-temps, j’avais dormi d’un sommeil agité, rempli de rêves tumultueux où régnait un despotique marchand de sable répandant sa tyrannie sur le Monde sous forme d’énormes tempêtes de suie noire comme la nuit.

©Anne-Marie Lejeune
NB :texte écrit il y a déjà quelques années sur un forum d'écriture auquel je participais 
La contrainte pour celui-ci était de placer en début de paragraphe : brusquement, entre temps, et ensuite

07 août 2025

Sujet N°109 de Filigrane-Les vacances (2)


A quoi pensent-ils ?

Sandalettes aux pieds toutes identiques, bras et jambes nues, ils sont assis en rang d'oignons sur le quai d'une petite gare qui semblerait presque désaffectée s'il n'y avait la présence de cette drôle de famille pour nous dire qu'au moins un train y passe encore. Celui que manifestement ils attendent tous, en apparence bien tranquillement si l'on se fie à leur attitude et à leur position quasi similaire.
Le tag sur le mur attire mon attention. «Body language». Que nous dit-il le langage de leur corps ? Rien manifestement. Ni impatience, ni inquiétude dans leur posture. Rien sur leur visage qui nous apprendrait ce qu'ils pensent en cet instant précis. Rien ! Ils attendent, c'est tout, statues immobiles à jamais figées par un photographe qui passait probablement par là à tout hasard pour faire un cliché "urbex" et que cette famille sagement assise ne pouvait qu'intriguer.
Qui sont-ils, où vont -ils ? Partent-ils en vacances ? Si c'est le cas, ils voyagent léger, léger parce qu'il n'y a pas le moindre bagage visible dans ce décor un rien surréaliste ! Que nous dit-il ce club des cinq familial en noir et blanc ?
Le petit garçon avec des lunettes noires à la façon "Men in black" qui auraient troqué le costume et la cravate pour un short et un tee-shirt, rêve-t-il à de futures aventures mouvementées?
Le papa, sourire en coin, peut-être parce qu'il a capté la présence du photographe sur le quai d'en face, se dit il "Zut, j'ai oublié mon vieil appareil à  la maison, il fait des photos tellement plus chouettes que le portable !» ?
Les petites filles modèles qui regardent chacune de leur côté, se demandent sûrement pourquoi il n'y a pas d'autres voyageurs sur le quai. Ces deux là ne liront pas «Les malheurs de Sophie» de la Comtesse de Ségur dont leur a parlé leur arrière grand-mère comme d'une œuvre magistrale. Trop naze ! Elle yoyote grand-mamie ! Elles préfèrent jouer sur leur portable. Entre les deux sans piper mot, la maman guette sans doute l'arrivée du train en se félicitant intérieurement que tout le monde se tienne tranquille en attendant qu'il se pointe enfin.
Mais j'extrapole parce qu'en réalité, je ne peux savoir à quoi ils pensent, ni même ce qu'ils font là ! En fait, ils posent peut-être pour le photographe qui souhaitait mettre un peu de vie dans son "urbex"

An'Maï

02 août 2025

Sujet N°109 de Filigrane : les vacances


Les vacances

Ah les vacances ! Parlez-en à Sophie et à Jean Dubonnet, les parents de Chloé, Anaïs et Ewan ! Si les deux fillettes ne ressemblent pas à Madeleine et à Camille, les petites filles modèles de la Comtesse de Ségur, elles sont tout de même assez sages au regard des circonstances de ce départ en famille qui ne se déroule pas vraiment comme prévu ! Quant à Ewan qui se tient exceptionnellement tranquille lui aussi, c'est habituellement un bon petit diable toujours prêt à faire des bêtises. Non, les malheurs de Sophie et de Jean ne sont pas causés par leurs enfants - enfin pas tout à fait - mais par ce maudit train supplémentaire qui se fait attendre ! Tout ça parce que celui qui était censé les amener à bon port en Bretagne, chez les parents de Sophie qui les attendent, comme chaque année au mois d'août, est parti sans eux ! Le pire, c'est que leurs bagages, les cinq valises archi remplies pour trois semaines de vacances, sont bien dans le train qu'ils ont raté. Et le pire du pire c'est que dans la précipitation, ils ont mis avec les valises, les sacs à dos qu'ils devaient garder avec eux et qui contiennent leurs provisions de route, boissons et sandwiches, parce que, dixit le paternel : «Pas question d'acheter quoi que ce soit dans le train, leur jambon-beurre et leurs boissons coûtent la peau des fesses !» Heureusement tout de même, Sophie a gardé son sac à main et Jean, le sac banane qui ne le quitte jamais. Argent, portables, papiers... Tout est là, ce qui leur a permis de s'expliquer au guichet et de ne pas payer de supplément !
Comment une telle mésaventure a-telle bien pu leur arriver ? Me direz vous ! C'est tout bête, croyez moi ! Ils étaient installés et attendaient le départ qui était retardé de dix minutes à cause d'un incident sur la voie, quand Chloé a hurlé :
- J'veux mon doudou, j'veux mon doudou !
-Et il est où ton doudou ? A demandé Sophie le plus calmement possible.
- Je.. Je l'ai oublié dans la gare . Euhhh, je crois... A bégayé la fillette en larmes !
- Tu es assez grande pour t'en passer maintenant ! A fulminé Jean qui sentait la moutarde lui monter au nez !
-J'veux mon doudou ! A insisté Chloé en tapant du pied.
-Bon, on va aller le chercher, on a le temps ! A concédé Sophie.
Et les voilà tous descendus du train pour aller chercher un doudou tout baveux qui était en fait bien calé dans le sac à dos de la petite, dans la soute à bagages, en route pour la Bretagne !
Anaïs et Ewan boudent. ils ont faim ! Chloé ne cesse de geindre ! Jean et Sophie se retiennent, plus très loin d'exploser !
Ah les vacances ! Ça commence bien pour les Dubonnet !

Récap' liste N°106 et image N°53

Récap' pour la liste N°106 qui était aussi la dernière du genre
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"Le paon bleu" Chez Marie-Sylvie
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"Le chat Médor" Chez Claudie
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"La solution" Chez Colette
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"Le pernicieux" Chez Jill Bill
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"La revanche" Chez Annick Lotus

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Récap' pour une image des mots N°53
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"Sensible aux autres" Chez Colette
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"Haute couture" Chez Jill Bill
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"Le fil de ma vie" Chez Marie-Sylvie
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"Le prédateur" Chez François
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"A cœur perdu" Chez moi
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"Le coeurdonnier" Chez Claudie
 

01 août 2025

Un thème-quatre mots N°1-Ma participation


1/ Départ en vacances
Emprisonner -Recours - Cueillette - Semblable

On fait les valises

Ça y est, voilà le maudit moment arrivé, celui du départ en vacances ! Eux et leurs gosses ils adorent ça, mais pour nous c'est la galère habituelle. Ils vont encore nous emprisonner pendant des heures et des heures ! Nous serons dans le noir, serrés les uns contre les autres comme des sardines dans leur boîte, sans aucun autre recours que d'attendre l'arrivée pour être libérés.  Eux frémissent d'impatience, nous c'est d'angoisse que nous tremblons ! Les parents vont faire la cueillette dans les armoires et empiler ce qu'ils auront récolté sur le lit de chacun, près de chaque valise ouverte en attente d'être remplie.
Ça va râler tous azimuts, comme d'hab'! 
Mattéo voudra emmener trois jeans alors qu'un seul suffit.
- Il fait toujours beau !  Tu vas passer ton temps en bermuda ou en maillot de bain ! Braillera la mère excédée.
Tatiana voudra à tout prix caser ses trois poupées mannequins avec toute leur panoplie, quitte à se taper la grosse crise d'hystérie pour convaincre sa maman au bord de l'explosion. Mais le papa  dira d'accord ! Il lui passe tous ses caprices à la petite dernière. Il ira même jusqu'à l'aider à ranger tout son fourbi !
Charly, l'aîné, s'en fout royalement lui, du nombre de jeans ou de pulls qu'il va fourrer dans sa valise. La seule chose qui l'intéresse ce sont ses livres et il leur trouvera une place, ça c'est sûr !
Les parents eux, sont très raisonnables, heureusement. Ils  ne prennent que ce dont ils ont absolument besoin pour leur séjour à la mer. Ils font leurs bagages au carré, comme à l'armée !
Et nous,  bien ou mal rangés, il va falloir qu'on fasse avec !
Bien sûr, vous ne pouvez pas comprendre  la torture que nous endurons chaque année, sauf si vous êtes un de nos semblables : shorts, pulls, robes, pantalons, maillots de bain, chaussettes et tutti quanti !
Moi, la p'tite robe à fleurs, je vais me coltiner les poupées mannequins et le fouillis de la valise de Tatiana. J'étouffe déjà rien que d'y penser ! Vive les vacances !

Un thème, quatre mots-N°1

N°1
Le thème Départ en vacances
Les 4 mots  :Emprisonner -Recours - Cueillette - Semblable

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"Seconde classe" Chez Ghislaine
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"Le royaume des décharges" Chez Marie-Sylvie
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"Autre temps" Chez Colette
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"Rêve d'évasion" Chez Annick Lotus

 

30 juillet 2025

Attrape-rêve

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Clin de plume à Elea pour sa publication : Plumes de rêves


Attrape-rêve


Maude ne rêvait plus, ou du moins, au réveil, il ne subsistait plus rien de ses errances oniriques. A son plus grand regret, l'aube effaçait tout Jusqu'alors, elle avait toujours eu des souvenirs très précis de ses songes. On dit que la phase des rêves, qui survient au cours du sommeil aléatoire, est en fait très courte or, quand elle se réveillait, elle avait toujours la sensation d'avoir vécu des moments aussi longs qu'intenses qu'elle se plaisait à raconter à ses proches. Lesquels s'étonnaient d'une telle richesse d'aventures et allaient même jusqu'à l'accuser d'affabulation. Pourtant, c'était la vérité ! Chacun de ses songes ressemblait à un film dont elle était le personnage principal et dont elle ne maîtrisait pas le déroulement. Elle se contentait de le vivre et en fonction de l'histoire que lui livrait la nuit, en sortait soit en larmes, soit apaisée, soit troublée, voire angoissée ou dans le meilleur des scénarios, si joyeuse que sa journée entière en était illuminée. Il en avait été ainsi jusqu'à cette effrayante succession de cauchemars qui avait duré un mois et l'avait laissée épuisée, dans un tel état d'anxiété qu'elle avait dû consulter son médecin qui lui avait prescrit un anxiolytique et un somnifère puissant censé lui assurer des nuits plus calmes et reposantes. C'était le cas ! Elle dormait d'un sommeil de plomb. Si elle rêvait encore, elle n'en avait pas conscience. Quand venait l'heure d'aller se coucher, elle avalait ses deux comprimés et tombait presque aussitôt dans un trou noir qui l'engloutissait. Un trou noir et vide ! Si vide que bientôt, tout ce qui avait rempli ses nuits commença à lui manquer. Mais la peur des cauchemars était si forte qu'elle ne voulait pas arrêter son traitement. Devenue accro à ses petites pilules, elle ne se rendait pas compte qu'elle était en train de devenir quelqu'un d'autre, une pâle copie apathique de la femme pleine de vie qu'elle avait été. Un jour, sa meilleure amie Elea qui s'inquiétait de la voir se transformer en zombie, lui demanda les raisons de ce changement radical. Sidérée, elle écouta ses explications entrecoupées de sanglots.
-J'ai la solution à ton problème ! Affirma-t-elle péremptoire. Fini les médocs qui t'abrutissent ! Je vais te fabriquer un attrape-rêve !
-En quoi ton truc peut-il m'aider ? Lâcha Maude plus que sceptique.
-Tu rêveras, comme avant mais mon truc comme tu dis, se chargera de tous tes mauvais rêves et ne te laissera vivre que ceux qui te font du bien !
- Ça ne me gêne pas de ne plus rêver Elea !
-C'est ce que tu crois mais c'est faux ! Le rêve est nécessaire à l'équilibre humain ! D'ailleurs tu crois ne pas rêver mais là aussi, tu te trompes ! Tu rêves, seulement tes foutus médocs font barrage à cette production naturelle de ton cerveau qui ne te délivre plus rien puisqu'on l'en empêche. Du coup le pauvre, il entasse, il entasse et c'est ce trop plein qui finit par déborder, d'où ton lamentable état ! Si tu te voyais Maude, !Je ne te reconnais plus !
Peu convaincue, elle accepta néanmoins l'offre de son amie.
Depuis, elle  dort du sommeil du juste avec un "dream catcher" accroché au-dessus de son lit. Dès qu'elle s'endort, lui se "réveille". Quand elle entre dans le sommeil aléatoire si propice aux rêves, il se met en action. Un doux et agréable songe le fait vibrer comme sous une brise légère. Un cauchemar et le voilà qui s'agite pour l'attraper au vol. Il le capture, littéralement, l'englue entre ses fils artistiquement tissés comme le ferait d'un insecte, une toile d'araignée. Quand il est plein de rêves noirs, il cesse d'agir. Alors Elea le récupère et le brûle avec tout son contenu maléfique. Pas question qu'il tombe entre les mains d'un tisseur de cauchemars qui en ferait mauvais usage ! Puis elle en tisse un nouveau pour son amie, comme elle le fait pour toutes celles et ceux qui en ont besoin et qui croient aux vertus bienfaisantes de ses "attrape-rêve".
 


24 juillet 2025

L'Arbre à palabres


 Texte écrit pour un ami de plume avec lequel j'ai longtemps échangé, jusqu'à ce qu'un maudit crabe l'emporte. Il s'appelait Jean-Luc Bouton mais son nom de plume était Ysengrin 45. Sur son blog, il avait créé "l'Arbre à palabres" où ses amies et amis en écriture venaient déposer leurs textes.

Je ne t'oublie pas Ysengrin

***

Le réveil de Baobab

Baobab dormait depuis longtemps…Qu’avait-il besoin de rester éveillé ? Personne ne venait plus s’asseoir à l’ombre de son feuillage.
Autrefois, il y avait des lunes de cela, nombreux étaient ceux qui venaient palabrer sans fin sous ses branches. Mais ce temps-là paraissait révolu. Alors Baobab avait décidé de prendre du repos. Ou du moins, le silence alentours avait décidé pour lui. Et il s’était endormi.  Non pas bienheureux mais sur des tonnes de regrets et de mots perdus…

Baobab dormait depuis longtemps quand un souffle plus léger qu’une plume le réveilla. Un souffle poétique qui l’effleurait des racines au faîte… un souffle qui le caressait doucement, tout doucement, comme pour le saluer avant…Ô Dieux de ses ancêtres baobabs ! Pour le saluer avant de monter vers l’azur du ciel pour s’y diluer. Non ! Pas s’y diluer ! Plutôt s’y mêler à la brise tout là-haut !
Ce souffle-là, si particulier, il le reconnaissait. C’était celui du Poète-Griot dont le totem était… un loup. C’est ça, un loup, fier mais pas solitaire, oh non ! C’était lui dont la voix puissante savait rassembler les autres autour de lui, Baobab, l’Arbre à palabres.
Oui, ce souffle qui s’élevait c’était l’émanation de l’esprit immortel de son ami, le poète-conteur, qui rejoignait les étoiles. Et, s’éveillant tout de bon, il l’entendit qui lui disait :
- Eh Baobab, il n’est plus temps de dormir  vieille branche ! Je m’en vais mais je ne serai jamais loin de toi. J’ai laissé mes mots et transmis à ma sœur mon pouvoir de griot. Elle me comprenait. Elle comprendra ton utilité, cher Arbre à palabres ! Bientôt, oui, bientôt, se réuniront autour de toi les voix qui chantent, les voix qui pleurent, celles qui crient et tempêtent… Toutes les voix de mes amis ! Es tu prêt Baobab à les recueillir ces voix, à les écouter, à les rassembler en un seul et vibrant chant d’amitié, comme autrefois ?
- Oui, je suis prêt, répondit l’arbre majestueux en étirant son corps massif encore engourdi de sommeil. Je suis prêt ! Qu’ils viennent et racontent. Qu’ils me livrent leurs maux, leurs mots, leurs rêves… Merci Loup de m’avoir réveillé. Je me sens enfin revivre !
Et c’était vrai ! Tandis qu’il parlait, il sentait l’essence éternelle du Poète-Griot se fondre en lui, sans chagrin ni regrets, apaisé. Il la sentait couler joyeuse avec sa sève régénérée. Et son souffle un peu lourd d’Arbre profondément enfoncé dans la terre asséchée, s’élevait et dansait, là-haut, tout là-haut, dans le vent, avec celui aérien de son ami désormais si loin et pourtant si près de nous.
« Je suis Baobab. Je suis l’Arbre à palabres. Avec Patou, sœur d’Ysengrin le Loup, je vous attends. Venez vous asseoir à l’ombre de mon feuillage. Venez vider votre cœur. Venez raconter vos histoires folles ou sages, tristes ou gaies. Parlez ! Je vous écoute… Il vous écoute ! »

***
Sous ton arbre

Sous ton arbre à palabres je viens Ysengrin
Déposer mon fardeau lourd encor de chagrin
Mais aussi quelques fleurs à l’odeur enivrante
En hommage, poète, à ta verve charmante
Sous ton arbre l’ami, se partagent les maux
Tout autant que les rêves d’un monde plus beau
Où règneraient sans fin l’amour et la sagesse
Où ceux qui nous gouvernent tiendraient leurs promesses
Sous ton arbre le Loup, j’entends toujours ta voix
Tes rimes qui mettaient les femmes en émoi
Ah combien nous l’aimions ta poésie légère
Et ta grivoiserie devenue légendaire !
Sous ton arbre griot tu nous as rassemblés
Amoureux fou des mots, chantre de l’amitié.
Aujourd’hui une fée perpétue la légende
De ce fier Baobab que ton esprit transcende
Comment te remercier de nous avoir offert
La douceur de son ombre au milieu du désert
Sous ton arbre, Ysengrin, seule dans la nuit noire
Je t’écoute apaisée raconter tes histoires…

NB : Le blog de mon ami Ysengrin n'a jamais été fermé
Vous pouvez toujours lire ici :https://le-blog-d-ysengrin45.over-blog.com/

23 juillet 2025

Il faut appeler un chat, un chat

Extrait de mon recueil de nouvelles :"Mes histoires farfadesques" qui sera peut-être publié un jour...



Il faut appeler un chat, un chat

Sa vie était un enfer ! Ce n’était pas vraiment ce qu’il avait attendu de son mariage avec Marguerite trente ans plus tôt ! Le temps des fiançailles avait été tout rose, les épousailles joyeuses et les deux ou trois premiers mois, idylliques. Juste le temps pour lui de s’éprendre encore d’avantage de cette belle jeune femme qui avait jeté son dévolu sur le garçon simple et sans prétention, presque ordinaire, qu’il était à l’époque, alors même que les plus magnifiques mâles de la ville rêvaient de la conquérir.
Puis il avait très vite déchanté et s’était aperçu qu’en fait, il avait épousé la pire des viragos.
À croire que Marguerite avait été adjudant- chef dans une vie antérieure !La mâtine avait bien caché son jeu pour sûr !
Au temps merveilleux de leur rencontre, elle était montrée douce à souhait, réservée, câline, très amoureuse, respectueuse de l’homme qu’elle avait choisi pour partager sa vie, pleine d’admiration disait-elle, pour ses qualités d’âme, sa probité, la gentillesse dont il faisait preuve envers autrui. Sa générosité naturelle, sa sagesse, son calme rassurant, l’avaient séduite, tout comme les attentions délicates dont il l’entourait. Elle n’aimait pas, affirmait-elle – il n’avait compris que trop tard pourquoi – ces machos aux gros muscles et à la petite cervelle qui lui couraient après, pas plus que ces golden boys prétentieux qui croyaient que leur argent leur donnait tous les droits sur elle. En somme, il n’avait eu aucun mal à voir en elle la femme idéale, en tout point digne de faire une épouse adorable que lui envieraient ses amis et dont le féliciteraient ses parents. Jamais alors, il n’avait remarqué les regards circonspects que ces derniers avaient jetés à l’élue de son cœur lorsqu’il la leur avait présentée comme sa future femme. Des regards qui disaient : « trop gentille, trop jolie, trop parfaite, trop polie pour être honnête ! ». Et s’ils avaient dit tout haut ce qu’ils pensaient tout bas, il ne les eût pas écoutés, déjà trop profondément sous l’emprise de sa belle, une perle rare, comme il le leur chantait à tout propos et sur tous les tons !
Qui mieux qu’eux, rendus clairvoyants par l’amour qu’ils portaient à leur fils unique, aurait pu soupçonner que cette jeune fille élégante, ravissante et si « gentille », cachait sous cette parfaite apparence, une mégère impitoyable ?
Marguerite était une maniaque de l’ordre, du rangement, de la propreté, de l’organisation domestique, de la planification en tous genres.
Elle avait calculé le nombre de leurs enfants et programmé leur conception. Selon son bon vouloir, ils avaient eu le premier un an après leur mariage, le deuxième deux ans plus tard et le dernier encore deux ans après. Elle était allée jusqu’à en choisir le sexe et le hasard parfaitement secondé par les spermatozoïdes particulièrement obéissants de son mari, s’était plié à sa loi : un fils, une fille et encore un fils, après quoi elle s’était fait ligaturer les trompes, prétextant des problèmes gynécologiques antérieurs à sa vie de femme mariée et fort opportunément réapparus après sa dernière grossesse.
Il avait dû s’incliner et renoncer à de futures paternités. Lui qui rêvait d’une famille nombreuse pour compenser ses longues années solitaires d’enfant unique, il avait rengainé ses rêves sans mot dire pour ne pas lui déplaire. Il l’aimait et pour lui, cet amour inconditionnel avait force de loi.
Au nom de cet amour, il acceptait les yeux fermés son impossible caractère, sa soif de domination, son extrême méticulosité et cette façon qu’elle avait de tout régenter. Au nom de cet amour et au nom de la paix qu’il désirait voir régner dans son ménage, tout comme ses enfants il obéissait aux règles multiples et incontournables qu’elle affichait quotidiennement sur le tableau accroché à cet effet, bien en vue, sur le mur de la cuisine le mieux exposé : heures sacro saintes des repas, liste des courses, des tours de corvées, consignes drastiques concernant le rangement, l’hygiène aussi, du lavage des mains au brossage des dents dûment minutés, du nettoyage du lavabo, de la douche ou de la cuvette des WC après usage à la réfection des lits chaque matin, et au carré s’il vous plait ! Les menus étaient établis pour la semaine et eux aussi inscrits chaque jour, du petit déjeuner au dîner, en passant par le goûter des gamins et l’on s’y conformait strictement, quoi qu’il en coûte.
Nulle fantaisie autorisée, nulle dérogation à la planification maternelle. Elle minutait et contrôlait autant que faire se peut, l’emploi du temps de chacun, du lever au coucher. Elle proclamait chaque soir l’extinction des feux à 22 h, comme à l’armée, du lundi au dimanche et le matin, dès 6 h, il ne lui manquait que le clairon pour sonner le réveil. Il savait qu’elle enrageait de ne pouvoir étendre sa mainmise sur eux tous en dehors de la maison et qu’elle se rattrapait dès le retour de ses troupes avec une exemplaire férocité.
Jusqu’au chat, farouche et indépendant, qui ployait l’échine devant elle. Elle était la seule à laquelle il consentît à obéir. Comme lui, il n’avait pas le choix. C’était d’ailleurs elle qui avait voulu un chat, de préférence à tout autre animal, après le départ des enfants, probablement parce qu'il lui manquait  un sujet à plier  à sa volonté ! C'était un mâle  qu’elle avait fait castrer dès l’âge de six mois pour qu’il renonce tout de suite à courir les minettes et qu’elle avait très vite appris à rentrer chaque soir. Pas question qu’il passe ses nuits dehors ! Elle tolérait déjà très mal qu’il sorte le jour ! Il était là pour chasser les souris des recoins sombres de leur grande maison, de la cave au grenier. Point.
Pauvre bête ! Une de ses rares fugues hors des horaires imposés par la maîtresse de maison, l’avait fait revenir borgne. Une bagarre avec un autre mâle, pas castré lui, et bien plus affûté qu’il ne pouvait l’être, et pour cause, aux combats de rue. Lui aussi subissait la tyrannie de Marguerite et il le faisait manifestement pour son maître qu’il vénérait.
Tel était le triste constat que faisait Henri, ledit matou couché en rond sur les genoux, tandis que leur acariâtre maîtresse finissait de préparer le dîner. Dans la demeure, pas d’autre bruit que celui des casseroles. Qui se fût permis d’attirer sur lui les foudres de Marguerite ? Laquelle, lorsqu’elle officiait devant ses fourneaux, n’avait jamais toléré le moindre dérangement. Henri se souvenait parfaitement de l’unique fois où il avait contrevenu à cette règle, et ce parce qu’il ne la connaissait pas encore. C’était un dimanche, dans les tous premiers temps de leur mariage. Il s’était permis une petite incursion du côté de la marmite dont il avait soulevé le couvercle, pour en goûter du bout du doigt le savoureux contenu. Prêt à lui en faire compliment, il s’était retourné et retrouvé face à sa jeune épouse furibarde :
-Ne fais plus jamais cela ! C’est dégoûtant ! Et puis j’aime autant te prévenir avant que tu ne prennes de mauvaises habitudes, j’ai une sainte horreur qu’on vienne m’espionner dans ma cuisine ! Avait-elle fulminé.
- Eh chérie ! Regarde, c’est moi ! Ton petit mari adoré ! Avait-il tenté de plaisanter.
- Je ne veux personne dans mes pattes pendant que je fais à manger ! Ni toi ni le pape ni ma mère ni les gosses plus tard ! C’est clair ? La cuisine, c’est mon domaine strictement réservé ! Et pendant que j’en suis aux mises au point, si tu pouvais éviter la télé pendant que je cuisine, ce serait sympa. Je ne vois pas mais j’entends, alors ça me distrait et je me mélange. Mais après tout, si tu veux manger sucré au lieu de salé. Ou trop poivré…Libre à toi !
- Bien sûr que non ma chérie ! Je comprends ! Je ne te dérangerai plus, promis ! Avait-il accepté penaud.
Et il avait quitté la cuisine. De retour dans le salon, il avait éteint la télé et s’était absorbé dans la lecture de son journal sportif en attendant de passer à table. Après tout, il n’allait pas se plaindre d’être traité comme un pacha ! Il était prêt à bien des concessions pour que leur mariage soit heureux et celle-là était vraiment petite !
Année après année, la « petite » concession était devenue énorme et la règle du silence pendant que Marguerite cuisinait, était devenue terrible oukase et pesant boulet.
Pas de musique, pas de télé, pas de chahut ou de chamailleries. Ni rires ni larmes ni conversations oiseuses sur la météo ou quelque autre sujet que ce soit. Et bien entendu, pas de miaulements intempestifs de monsieur Chat pour réclamer sa gamelle. Nul autrefois, pas même les enfants au demeurant normalement turbulents à l’école, ne se fût risqué à rompre cette règle du silence qu’elle imposait à tous. Dès leur retour, les gamins montaient faire leurs devoirs dans leurs chambres respectives. Lui s’installait dans son fauteuil pour lire le journal, le chat pelotonné sur les genoux. Et chacun se taisait religieusement jusqu’à ce que madame se décide à battre le rappel de ses troupes à 19h30 précises.
Trente ans de bagne pour lui. Un peu moins pour les enfants qui avaient quitté la maison sitôt qu’ils avaient pu. Le premier avait choisi la vie monastique, faite de silence et de contemplation. Il était prêt à prononcer ses vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Pour ce dernier sacrifice, il n’aurait aucun mal, il avait été à bonne école ! La seconde était jeune mariée et déjà en passe de divorcer d’un mari trop autoritaire.
Le troisième enfin, que l’abusive domination maternelle avait brisé, ne supportait pas l’idée de vivre avec une femme, le risque était trop grand de tomber sur une « Marie j’ordonne » comme sa mère. Il était gay et assumait au mieux ce que Marguerite appelait sa perversion alors que lui, le père, ne comprenait que trop bien ce choix de son petit dernier…
Lui seul demeurait donc, qui perpétuait le rituel vespéral devenu insupportable au fil du temps, tout en remuant mais en silence bien sûr, de sombres et tumultueuses pensées, ponctuées par les ronronnements discrets de son ami félin, endormi comme chaque soir sur ses genoux. Un bon moyen pour la petite bête de tromper sa faim jusqu’à 19h30.
Oh oui ! D’année en année, sa vie était devenue un enfer !
La hargne de Marguerite, ses perpétuelles tracasseries, avaient peu à peu atténué puis tué l’amour qu’il lui portait et l’avaient remplacé par de l’amertume, de la désillusion et un tas de rancœurs inexprimées, d’autant plus douloureuses qu’il s’obligeait encore à les taire, par habitude, par lassitude, juste pour préserver le peu de paix qu’elle consentait à lui laisser.
Il enviait l’animal devenu son seul ami, son confident. Il lui parlait doucement, lui racontait sa peine ses déboires, ses colères rentrées, ses désirs de vengeance réprimés. Il avait toujours été pacifiste, ennemi des querelles stériles et des joutes verbales où le ton monte, monte jusqu’à l’explosion finale et meurtrière. Il était avant tout un amoureux inconditionnel de la tranquillité, voilà pourquoi il avait toujours renoncé à se battre contre le despotisme de sa femme. Pour ça et par amour. Un amour imbécile et lâche, jamais vraiment payé de retour.
Ce qu’elle avait aimé en lui, c’était le compagnon fidèle, le procréateur de ses enfants, le toutou obéissant. Et voilà qu’aujourd’hui, la manipulation de sa marionnette favorite ne lui suffisait plus. Elle voulait un adversaire digne d’elle. Ce misérable et trop malléable fantoche – c’est ainsi qu’elle en était venue à le considérer – l’ennuyait à mourir. Elle désirait encore son obéissance, certes, mais elle eût voulu qu’en prime, il se rebiffât désormais, pour faire de sa soumission une victoire chèrement acquise. Car bien sûr, elle ne doutait pas de la victoire finale. En somme, elle avait fini par comprendre ce dicton : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. », Alors elle l’asticotait sans relâche, pour des riens, espérant contre toute attente le faire sortir de ses gonds, enfin ! Le voir en colère, rebelle, résistant de l’impossible puis, au terme de la lutte, se l’asservir plus encore !
Il résistait pourtant ! Mais pas comme elle le souhaitait. En silence, profil bas, tandis que dans son cœur, la haine enflait en même temps que le désir de la détruire, de la déchirer, de lacérer ce beau visage qui jamais plus ne lui souriait comme autrefois, dans un passé lointain et révolu, lorsqu’elle l’avait séduit. Et il se taisait, ravalait son exaspération, ne prenant même plus la peine de lever les yeux de son journal lorsqu’elle l’agressait, lui assénant à l’envie les éternels poncifs dont elle l’avait toujours abreuvé et qu’il avait subis sans broncher des années durant tels :
« Le temps, c’est de l’argent ! », « Qui perd son temps perd sa vie ! », « L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt ! », « L’heure, c’est l’heure ! Avant l’heure etc… », « Qui n’avance pas recule ! », « Il vaut mieux être une heure en avance qu’une minute en retard ! »…
Et ainsi de suite. Elle en avait toute une collection dont sa préférée qu’elle ne cessait de répéter à qui voulait l’entendre alors qu’il était bien le seul à l’écouter encore :
- J’aime que les choses soient claires ! Il n’y a pas à tourner autour du pot, il faut appeler un chat, un chat !
« Appeler un chat, un chat. ». Elle adorait ce cliché et l’utilisait pour un oui pour un non, sans raison et sans discernement. C’est ce constat plus que tout autre qui mettait un comble à l’amertume d’Henri et à sa désillusion. Il avait cru épouser une femme intelligente et fine d’esprit alors qu’elle s’était révélée, à l’usage, plus bête que son chat justement !
Marguerite était pleine de préjugés d’un autre âge et la tête farcie d’un fatras d’idées toutes faites auxquelles elle se raccrochait, n’ayant rien d’autre à quoi le faire. Des idées derrière lesquelles elle s’abritait et grâce auxquelles elle avait réussi à masquer, pour un temps du moins, sa bêtise et son inculture.
Sans faire preuve de vaillance –il reconnaissait n’en avoir pas une once – il avait tout supporté par amour, pour la paix, pour ses enfants. Il l’avait fait naturellement car il était dans son caractère d’être complaisant, voire débonnaire mais c’était fini, bien fini ! Il n’en pouvait vraiment plus ! Il avait atteint un point de saturation de Marguerite tel qu’il aurait volontiers échangé sa place avec le chat pour n’avoir plus à la subir. Il lui eût alors suffi ou de s’éclipser discrètement, ainsi que le faisait le matou lorsque la maîtresse était particulièrement de mauvais poil, ou comme l’animal le faisait en cet instant précis, de se mettre en boule sur les genoux du patron en attendant sa pâtée du soir, sans se soucier des habituelles récriminations de la harpie. Laquelle, tout en ronchonnant, s’activait dans la cuisine à grands bruits de poêles et de casseroles.
La loi du silence, c’était pour les autres !
Bercé par ces réconfortantes pensées, une main caressante posée sur l’échine du chat, Henri finit par s’assoupir… Il rêvait, bienheureux, lorsque la voix aigre de sa bien- aimée le tira brutalement de sa béatitude.
La salope ! Il était si bien ! Marre de cette bonne femme ! Il ouvrit les yeux, s’étira… Mince !
Il était bien au chaud sur…les genoux de…de qui ? Une main douce sur son dos, le caressait… Il en…ronronna d’aise.
Une voix dans sa tête lui susurrait :
« Allez mon vieux Henri ! Vas-y ! C’est le moment où jamais ! »
Il frotta sa tête contre le pull de laine de…mais de qui bon sang de bonsoir ? S’étira une fois encore, creusant l’échine, griffant légèrement le velours côtelé du pantalon de… de son pantalon !
« Vas mon pote ! Cours et te venge ! » Reprit la voix.
Il miaula un merci, sauta lestement sur le sol - fini les douloureux rhumatismes - se faufila dans la cuisine…
Un hurlement strident retentit. La mégère échevelée apparut, le visage en sang lacéré de cruelles griffures.
- Henri ! Fous- moi cette sale bête dehors ! Hurla-t-elle, décomposée et pâle de fureur.
Lequel Henri, bien dans sa nouvelle peau ma fois, réapparut le poil hérissé, comme il se doit pour un chat énervé et vint se réfugier près de l’homme qui s’était levé.
Son remplaçant dans sa peau de mari de Marguerite, se baissa, le prit dans ses bras et lui murmura : « Bravo Henri ! » En le grattant derrière l’oreille. « Rrrrrrr ! » C’était rudement agréable ! – puis se rassit posément dans leur fauteuil, Henri le chat rassuré sur les genoux.
- Pas question ! répondit-il sans sourciller, c’est mon chat ! Tu as sûrement fait quelque chose qui lui a déplu. Il s’est vengé, c’est normal ! Après tout, c’est un chat !
- Henri ! Vitupéra-t-elle.
- Stop ma chère ! Il n’y a plus d’Henri qui compte ! Comme tu le dis si bien, moi aussi j’aime que les choses soient claires, il faut appeler un chat, un chat et j’ajouterais, il faut appeler un homme un homme. Je suis cet homme, c’est mon chat et il n’ira nulle part sans moi, c’est bien compris ? 
À partir de maintenant, cette garce de Marguerite qui leur avait pourri la vie, allait payer.
Elle avait enfin trouvé son maître !

22 juillet 2025

Tournage...En décalé

Histoire de joie d'une fille d'amour

«Quand la belle à succès rencontra l'acteur de nuit, ce fut le coup d'artichaut dans son cœur de foudre ! Pour celle que l'on qualifiait de fille d'Autan, c'est comme si un vent de joie l'avait secouée des pieds à la tête. Elle en vacilla sur ses talons moulants et se mit à frissonner dans son pull aiguille. Sa vie de fée allait-elle enfin se transformer en conte de galère ? Allait-elle quitter son trottoir de duchesse pour un château malfamé ? Si elle en croyait le regard huppé du jeune homme de velours, elle avait toutes ses chances ! Ahhh échanger les paires de caresses violentes de son souteneur contre de douces baffes  amoureuses ! Elle en rêvait ! Quitter son manteau de brocart miteux pour enfiler une étole de misère brodée de soie... Enfin ! Quand il s'approcha d'elle de sa  souple démarche glacée et posa sur ses épaules félines sa chaude écharpe en cachemire, elle sut que sa réalité allait devenir son rêve...»*
-Coupez ! C'est dans la boîte ! Hurla une voix de tournage sur le plateau métallique.
Une longue minute finale succéda à cette scène de silence. Vide de fatigue, abrutie d'énergie, Daphné n'avait qu'une envie,se retirer dans sa caravane réparatrice pour y f aire une sieste de luxe ! Impossible ! Elle était l'actrice de pacotille de cette œuvre principale : le tout premier auteur d'un jeune film en devenir. Une bluette attardée pour midinette de quatre sous. Et des sous, elle en avait grand besoin Daphné, pour payer les coquettes traites de sa lourde villa sur la côte d'azur, nourrir son chien siamois et ses quatre chats de chasse !
- On est à la pause, on y retourne ! Fini la bourre ! Brailla le metteur en scène de l'assistant !
Elle sortit un rouge de tube à lèvres de sa trousse de récriminations,rengaina les maquillages qu'elle s'apprêtait à jeter à la prétention de ce jeune con plein de figure, et s'en remis une couche bien pâle sur sa bouche trop épaisse. Puis d'un pas nonchalant, elle se pressa sans se diriger vers le tournage de plateau pour y ré endosser la peau de fille d'amour de cette triste histoire de joie.

21 juillet 2025

Arc-en-ciel poétique d'Eléa de juillet


Consignes ; A partir d'une image Pixabay,
écrire 3 lignes, un haïku, un tanka, un micropoème
Mot imposé :Perle


Perles d'eau cristalline
Inestimable trésor,
Sang précieux de la nature.

Respectons ce don du ciel
Pour protéger la vie