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Dans son livre intitulé "Je me souviens", l'écrivain Georges Perec relate 480 petits souvenirs de la vie quotidienne, tels qu'ils lui reviennent à l'esprit, tout en invitant le lecteur à continuer cet inventaire.
À la manière de G. Perec, faites l’inventaire de vos souvenirs d’enfance, tels qu’ils surgissent.
NB : D'avance, je vous prie de bien vouloir excuser la longueur de mon texte. J'ai énormément de souvenirs. Il a suffi que j'écrive le premier pour qu'une foule d'autres remontent à la surface. Et encore me suis-je cantonnée à ceux qui remontent à l'époque de ma vie où nous vivions en Seine et Oise, jusqu'au décès de mon père en 1959.
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Je
me souviens de l'odeur du béret de papa quand j'étais perchée sur
ses épaules.
Je
me souviens de celle de la brillantine Forvil dans son petit flacon
bleu.
Je
me souviens de la voix cassée de maman quand elle chantait les
chansons de Berthe Silva.
Je
me souviens du feuilleton "La famille Duraton" à la radio.
et du jeu "Quitte ou double" Nous écoutions en silence. La
radio, c'était notre "télé" de l'époque.
Je
me souviens de "Sur le banc", la chronique de Jeanne Sourza
et Raymond Souplex.
Je
me souviens de la lessive Sunil et du célèbre "Ça va
bouillir" de Zappi Max.
Je
me souviens que mon père n'aimait pas De Gaulle. Ma mère se
contentait de dire comme lui.
Je
me souviens de Limetz , le village où nous habitions dans le
département qu'on appelait alors la Seine-et-Oise.
Je
me souviens du "Moulin" où nous logions gratis comme
toutes les familles des ouvriers de l'usine du village. Nous y étions
les seuls français. Il y avait des italiens, des portugais, des
algériens, des pieds noirs... Il y avait même un turc.
Je
me souviens de mon premier couscous chez Pacha et Jeannette et des
pâtes à l'italienne chez les Tondato, les parents d'Isabella, ma
meilleure amie que tout le monde appelait Isabelle.
Je
me souviens d'elle, ma copine, elle avait une super dinette dans
laquelle nous faisions notre tambouille avec de l'herbe et de la
boue.
Je
me souviens des baignades dans l'Epte, l'été. Nous sautions dans
l'eau de la barre d'étendage du lavoir. Les vaches venaient boire à
la rivière et nous barbotions au milieu des bouses !
Je
me souviens de la clique des pompiers du village où papa était
grosse caisse et où mes frères jouaient du clairon. Je rêvais d'y
devenir cantinière et je m'entraînais à marcher au pas.
Je
me souviens de la première fois où j'ai vu la télé chez Raoul, un
camarade d'usine de papa. Fascination totale de voir des gens en noir
et blanc bouger et parler dans la petite boite.
Je
me souviens de la distribution de pain béni à la messe du dimanche.
Mon père se moquait. il disait qu'il gagnait assez bien sa vie pour
nourrir sa famille sans l'aide du bon Dieu.
Je
me souviens de ce jour où un rayon de soleil a frappé le
tabernacle. En rentrant à la maison, j'ai dit à maman que j'avais
vu Dieu.
Je
me souviens du mois de Marie et de la récompense finale quand on
avait bien tout suivi : un protège cahier de chez Alexi avec les
tables de multiplications au dos. Alexi tenait l'un des deux cafés
de Limetz. c'est chez lui que nous achetions nos bonbons à un
centime, sortis d'un grand pot sur le comptoir.
Je
me souviens de mon premier jour d'école. Je suis tombée dans un
trou au milieu de la cour. Il y avait de travaux pour je ne sais plus
quoi. C'est Olivette Dhermy, une "grande" qui m'a aidée à
en sortir !
Je
me souviens de ce qu'Olivette disait quand elle était en retard : "La
tromilette de papa est tombée en panne".
Je
me souviens de monsieur Picandet le directeur et de son épouse, et
surtout de mademoiselle Jacques, mon institutrice que je vénérais.
Je
me souviens d'une des fêtes de Noël de cette école durant laquelle
sur scène, j'ai chanté "En passant par la Lorraine avec mes
sabots" avec le costume ad hoc.
Je
me souviens de la visite médicale dans une des classes. On passait
en petite culotte devant l'infirmière. Tous les gamins avaient peur
de la piqûre dans le dos.
Je
me souviens des départs en Bretagne pour les grandes vacances. Nous
partions avec Tonton Lucien, tante Simone, une sœur de maman et les
cousins et cousines Pierre. Il nous fallait 2 compartiments dans le
train. Il faut dire que nous étions nombreux ! Sept enfants de
chaque côté plus les parents ! Une véritable expédition.
Je
me souviens des roudoudous qu'on léchait jusqu'à s'en faire saigner
la langue et des œufs durs pour tromper notre faim. Il était long
le voyage des vacances.
Je
me souviens de la fois où pendant un arrêt à Paris, papa est allé
acheter un paquet de gauloises. Il a fait semblant d'être en retard
et a sauté dans le train qui démarrait. Maman était terrifiée !
Lui riait comme un fou !
Je
me souviens de ces merveilleuses vacances à Kerhostin dans la
presqu'île de Quiberon, chez notre grand-mère maternelle et notre
tante Mimi. Avec les cousins de Bretagne, que d'aventures nous avons
vécues.
Je
me souviens du dernier soir, une année, du grand feu de joie sur
la falaise, face à la mer. Nous avions fait un spectacle. Des gens du village et d'autres vacanciers étaient venus. Nous avons chanté "Ce n'est qu'un aurevoir..."
Je
me souviens de l'épicière du principal "café
épicerie" qui nous piquait les DH des carambars pour que son
fiston gagne le ballon de foot.
Je
me souviens des bals musettes du samedi soir, dans l'arrière salle
de ce café épicerie. Maman mettait sa plus jolie, robe, papa son
pantalon de costume et sa chemise blanche. Ils étaient si beaux tous
les deux ! On dansait au son de l'accordéon. Et Papa essayait de
m'apprendre à danser la valse. Parfois, on allait guincher dans les
guinguettes au bord de l'eau à Giverny.
Je
me souviens des séances de cinéma du jeudi dans cette même
arrière-salle. Les films de cow-boy, les films de cape et
d'épée..."La flèche brisée", "D'Artagnan",
"Le capitaine Fracasse"... Là est née ma passion pour le
septième art.
Je
me souviens en particulier d'un film merveilleux : "L'enfant à la voix d'or",
interprété par Joselito Jimenez. Et aussi d'un autre film avec lui
: "Le petit colonel".
Je
me souviens des acteurs qui me faisaient rêver: Victor Mature, Gary Cooper, Johnny
Weissmuller, Jean Marais...
Je
me souviens que j'ai appris à lire avec les "Nous deux" et
les "Intimité" de maman, au grand dam de ma grand-mère
paternelle.
Je
me souviens des "Akim","Kit Carson" "Blek
le Rock", " Tex le petit ranger"... Toutes ces petites
BD que je piquais à mes frères.
Je
me souviens de "Mickey" et de "Vaillant" que nous
lisions à tour de rôle. Un jour j'ai lu terrifiée que la fin du
monde allait avoir lieu dans trois cent milliards d'années. Avec ma
copine Isabelle, nous pensions pouvoir y échapper en nous réfugiant
sur les collines de Giverny.
Je
me souviens du triporteur jaune du marchand de glace. Nous guettions
le pouêt- pouêt de son klaxon. Parfois avec nos petites économies
de "corvées", nous achetions une glace à trois boules.
Je
me souviens des colères de papa quand nous faisions des boulettes
avec la mie de pain.
Je
me souviens que quand nous demandions "Qu'est-ce qu'on mange",
il répondait :"Des briques à la sauce caillou".
Je
me souviens que quand maman racontait ses rêves, il plaisantait en
disant "Et moi j'ai rêvé que mon c... était une fontaine.
Vous étiez des petits canards et vous nagiez dedans".
Je
me souviens de notre île au milieu de l'Epte. Notre bande en
défendait l'accès aux autres gosses du village. Pour avoir le droit
d'y poser le pied, j'ai dû avaler un ver de terre tout cru ! Puis
j'ai dû traverser en marchant sur le tronc d'arbre couché qui
servait de pont ! La première fois, je suis tombée à l'eau ! Mes
frères n'étaient pas fiers !
Je
me souviens de tant de choses qu'il me faudrait comme à Perec,
écrire un livre pour tout raconter avant de tout oublier. Il y en a
de bonnes et belles mais aussi de très tristes comme la mort de
Sylviane, une de nos petites sœurs à l'hôpital de Vernon. Elle
allait avoir 4 ans.
Je
me souviens surtout de ce voyage des pompiers dont notre mère est
revenue seule. C'était en 59. Papa s'est noyé en baie de Somme
cette année là. Et nous avons dû déménager puisque personne ne
pouvait le remplacer à l'usine.
Je
me souviens...Je me souviens souvent avec bonheur ! Parfois pourtant,
je voudrais ne pas me souvenir.