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11 août 2025

La nuit et moi : une longue histoire de désamour

Le marchand de sable
(extrait du recueil :"Mes histoires farfadesques")


Brusquement, le sommeil, s’est saisi de moi et m’a prise en otage sans ménagement !
Cela faisait des heures que je le fuyais avec une détermination à faire envie aux plus invétérés des couche-tard mais il a tout de même fini par me rattraper ce bougre de marchand de sable ! Pas le temps de dire ouf ! Le fieffé ensableur m’a balancé une grosse poignée de sa poudre de perlimpinpin en plein dans les mirettes ! Pas pu l’éviter ! Bon sang de bois, il vise encore bien pour son âge !
Et moi, pauvre cloche complètement sonnée, je n’ai rien trouvé de mieux à faire que de me frotter les yeux comme une forcenée, empirant la brutale envie de dormir qui s’est emparée de moi.
Je l’ai pourtant entendu venir ce grand benêt au doux regard, perché sur son nuage cotonneux ! C’est qu’il devient poussif avec le temps le vieux copain de Nounours et de ses protégés, Nicolas et Pimprenelle. Il est bien loin le temps où, fringant pilote de son blanc taxi du ciel en forme de barbe à papa, il envoyait pléthore de minots au lit, aidé dans sa quotidienne tâche vespérale par son complice en peluche dont la grosse voix prononçant le rituel « Bonne nuit les petits !», ne faisait même pas peur !
Mais à présent, son teuf-teuf magique est tout gris. Il broute les nuages fuligineux et son moteur dans le temps silencieux, a maintenant bien trop souvent de sonores et très inquiétants ratés. La pollution est passée par là ! Alors tout comme son véhicule céleste même plus coté à l’argus, le vénérable semeur de sommeil tousse et crache ses poumons! Voilà pourquoi on l’entend rappliquer de loin ! Et puis il fatigue ! C’est qu’il est tout seul à bosser !
Entre temps, en effet, pépé Ours a été mis à la retraite, usé jusqu’à la trame par des années de labeur. Il finit de rendre l’âme dans un grenier. Ses yeux de verre ternis ne voient plus que le fond de la malle où il git, pauvre joujou démembré. Son ventre crevé laisse échapper ses entrailles de paille au milieu desquelles niche une famille nombreuse de souris ! Quelle déchéance pour la grosse peluche débonnaire qui flirtait avec les étoiles. Quelle sordide fin de vie ! Ou fin de mort plutôt !
Alors pour le Marchand de sable, ces heures sup’ en solitaire vraiment, mais vraiment mal payées, c’est la goutte d’eau polluée qui fait déborder le vase ! Le travail de nuit, il en a ras les baskets ! Et respirer de l’air empoisonné aussi ! Il a beau avoir la tête dans les nuages, il a les pieds sur terre et il sait qu’à son âge, il n’y a pas de reconversion possible ! Sans compter qu’il n’a même pas le droit de démissionner, vu que la direction ne lui trouve pas de remplaçant !
Du coup, il est beaucoup moins patient, beaucoup plus brut de décoffrage dans l’exercice de sa profession devenue très ingrate de dispensateur de doux rêves ! Il faut dire aussi que les mômes d’aujourd’hui sont bien plus récalcitrants que ceux qu’il saupoudrait autrefois de galéjades et de poussière d’or ! Pour compléter le sinistre tableau noir de ses nuits blanches, afin de gagner un peu plus- si peu- il a dû étendre son activité aux adultes qui ne sont guère plus sages que les enfants lorsque vient le moment d’aller au lit ! De plus, vu la conjoncture économique morose et la perpétuelle augmentation du coût de la vie, il n’a même plus les moyens de jeter du sable ! C’est de la suie qu’il balance désormais !
Bien pour ça que j’ai des cernes !
Quant à Nicolas et Pimprenelle, ils ont troqué leurs douillets mais ringards vêtements de nuit en pilou contre des fringues dans le mouv’! Pour s’évader d’un réel pas très gai, ce n’est plus du sable qu’ils respirent ! La poudre qu’ils sniffent les envoie direct au septième ciel d’un univers psychédélique auprès duquel le monde merveilleux et magique du marchand de sable de leur enfance, leur paraîtrait bien pâle s’ils s’en souvenaient encore !
Voilà pourquoi, dégoûté du métier le brave homme ne l’exerce plus que forcé et contraint ! Ou devrais-je plutôt dire, que forçant et contraignant !
Voilà pourquoi il s’est brusquement saisi de moi, m’infligeant le sommeil comme une punition, me l’imposant sous la menace d’une nouvelle poignée de son sable au rabais si je n’obtempérais pas immédiatement !
« Et ensuite ? » Me demanderez-vous peut-être ?
Ensuite, mes paupières encrassées de suie se fermant malgré moi, je me suis retrouvée jetée manu militari sous la couette rose du lit que l’une de mes petites filles occupe lorsqu’elles viennent toutes deux en vacances chez nous…
« Parce qu’en plus, tu voudrais réveiller ton mari qui lui, dort comme une marmotte depuis des heures ? Non mais ! » M’a tancée vertement le vieux marchand de sable.
« Et ensuite ? »
Brusquement, je me suis réveillée avec l’impression saugrenue qu’une grosse voix me criait dans l’oreille :
« Hop faignante ! Debout ! Tu as assez dormi ! »
Près de ma tête encore posée sur l’oreiller, le « Bisounours » de Margot paraissait me sourire ! J’ai même cru voir le cœur rouge clignoter ironiquement sur son torse pelucheux !
Entre-temps, j’avais dormi d’un sommeil agité, rempli de rêves tumultueux où régnait un despotique marchand de sable répandant sa tyrannie sur le Monde sous forme d’énormes tempêtes de suie noire comme la nuit.

©Anne-Marie Lejeune
NB :texte écrit il y a déjà quelques années sur un forum d'écriture auquel je participais 
La contrainte pour celui-ci était de placer en début de paragraphe : brusquement, entre temps, et ensuite

30 juillet 2025

Attrape-rêve

***


Clin de plume à Elea pour sa publication : Plumes de rêves


Attrape-rêve


Maude ne rêvait plus, ou du moins, au réveil, il ne subsistait plus rien de ses errances oniriques. A son plus grand regret, l'aube effaçait tout Jusqu'alors, elle avait toujours eu des souvenirs très précis de ses songes. On dit que la phase des rêves, qui survient au cours du sommeil aléatoire, est en fait très courte or, quand elle se réveillait, elle avait toujours la sensation d'avoir vécu des moments aussi longs qu'intenses qu'elle se plaisait à raconter à ses proches. Lesquels s'étonnaient d'une telle richesse d'aventures et allaient même jusqu'à l'accuser d'affabulation. Pourtant, c'était la vérité ! Chacun de ses songes ressemblait à un film dont elle était le personnage principal et dont elle ne maîtrisait pas le déroulement. Elle se contentait de le vivre et en fonction de l'histoire que lui livrait la nuit, en sortait soit en larmes, soit apaisée, soit troublée, voire angoissée ou dans le meilleur des scénarios, si joyeuse que sa journée entière en était illuminée. Il en avait été ainsi jusqu'à cette effrayante succession de cauchemars qui avait duré un mois et l'avait laissée épuisée, dans un tel état d'anxiété qu'elle avait dû consulter son médecin qui lui avait prescrit un anxiolytique et un somnifère puissant censé lui assurer des nuits plus calmes et reposantes. C'était le cas ! Elle dormait d'un sommeil de plomb. Si elle rêvait encore, elle n'en avait pas conscience. Quand venait l'heure d'aller se coucher, elle avalait ses deux comprimés et tombait presque aussitôt dans un trou noir qui l'engloutissait. Un trou noir et vide ! Si vide que bientôt, tout ce qui avait rempli ses nuits commença à lui manquer. Mais la peur des cauchemars était si forte qu'elle ne voulait pas arrêter son traitement. Devenue accro à ses petites pilules, elle ne se rendait pas compte qu'elle était en train de devenir quelqu'un d'autre, une pâle copie apathique de la femme pleine de vie qu'elle avait été. Un jour, sa meilleure amie Elea qui s'inquiétait de la voir se transformer en zombie, lui demanda les raisons de ce changement radical. Sidérée, elle écouta ses explications entrecoupées de sanglots.
-J'ai la solution à ton problème ! Affirma-t-elle péremptoire. Fini les médocs qui t'abrutissent ! Je vais te fabriquer un attrape-rêve !
-En quoi ton truc peut-il m'aider ? Lâcha Maude plus que sceptique.
-Tu rêveras, comme avant mais mon truc comme tu dis, se chargera de tous tes mauvais rêves et ne te laissera vivre que ceux qui te font du bien !
- Ça ne me gêne pas de ne plus rêver Elea !
-C'est ce que tu crois mais c'est faux ! Le rêve est nécessaire à l'équilibre humain ! D'ailleurs tu crois ne pas rêver mais là aussi, tu te trompes ! Tu rêves, seulement tes foutus médocs font barrage à cette production naturelle de ton cerveau qui ne te délivre plus rien puisqu'on l'en empêche. Du coup le pauvre, il entasse, il entasse et c'est ce trop plein qui finit par déborder, d'où ton lamentable état ! Si tu te voyais Maude, !Je ne te reconnais plus !
Peu convaincue, elle accepta néanmoins l'offre de son amie.
Depuis, elle  dort du sommeil du juste avec un "dream catcher" accroché au-dessus de son lit. Dès qu'elle s'endort, lui se "réveille". Quand elle entre dans le sommeil aléatoire si propice aux rêves, il se met en action. Un doux et agréable songe le fait vibrer comme sous une brise légère. Un cauchemar et le voilà qui s'agite pour l'attraper au vol. Il le capture, littéralement, l'englue entre ses fils artistiquement tissés comme le ferait d'un insecte, une toile d'araignée. Quand il est plein de rêves noirs, il cesse d'agir. Alors Elea le récupère et le brûle avec tout son contenu maléfique. Pas question qu'il tombe entre les mains d'un tisseur de cauchemars qui en ferait mauvais usage ! Puis elle en tisse un nouveau pour son amie, comme elle le fait pour toutes celles et ceux qui en ont besoin et qui croient aux vertus bienfaisantes de ses "attrape-rêve".
 


24 juillet 2025

L'Arbre à palabres


 Texte écrit pour un ami de plume avec lequel j'ai longtemps échangé, jusqu'à ce qu'un maudit crabe l'emporte. Il s'appelait Jean-Luc Bouton mais son nom de plume était Ysengrin 45. Sur son blog, il avait créé "l'Arbre à palabres" où ses amies et amis en écriture venaient déposer leurs textes.

Je ne t'oublie pas Ysengrin

***

Le réveil de Baobab

Baobab dormait depuis longtemps…Qu’avait-il besoin de rester éveillé ? Personne ne venait plus s’asseoir à l’ombre de son feuillage.
Autrefois, il y avait des lunes de cela, nombreux étaient ceux qui venaient palabrer sans fin sous ses branches. Mais ce temps-là paraissait révolu. Alors Baobab avait décidé de prendre du repos. Ou du moins, le silence alentours avait décidé pour lui. Et il s’était endormi.  Non pas bienheureux mais sur des tonnes de regrets et de mots perdus…

Baobab dormait depuis longtemps quand un souffle plus léger qu’une plume le réveilla. Un souffle poétique qui l’effleurait des racines au faîte… un souffle qui le caressait doucement, tout doucement, comme pour le saluer avant…Ô Dieux de ses ancêtres baobabs ! Pour le saluer avant de monter vers l’azur du ciel pour s’y diluer. Non ! Pas s’y diluer ! Plutôt s’y mêler à la brise tout là-haut !
Ce souffle-là, si particulier, il le reconnaissait. C’était celui du Poète-Griot dont le totem était… un loup. C’est ça, un loup, fier mais pas solitaire, oh non ! C’était lui dont la voix puissante savait rassembler les autres autour de lui, Baobab, l’Arbre à palabres.
Oui, ce souffle qui s’élevait c’était l’émanation de l’esprit immortel de son ami, le poète-conteur, qui rejoignait les étoiles. Et, s’éveillant tout de bon, il l’entendit qui lui disait :
- Eh Baobab, il n’est plus temps de dormir  vieille branche ! Je m’en vais mais je ne serai jamais loin de toi. J’ai laissé mes mots et transmis à ma sœur mon pouvoir de griot. Elle me comprenait. Elle comprendra ton utilité, cher Arbre à palabres ! Bientôt, oui, bientôt, se réuniront autour de toi les voix qui chantent, les voix qui pleurent, celles qui crient et tempêtent… Toutes les voix de mes amis ! Es tu prêt Baobab à les recueillir ces voix, à les écouter, à les rassembler en un seul et vibrant chant d’amitié, comme autrefois ?
- Oui, je suis prêt, répondit l’arbre majestueux en étirant son corps massif encore engourdi de sommeil. Je suis prêt ! Qu’ils viennent et racontent. Qu’ils me livrent leurs maux, leurs mots, leurs rêves… Merci Loup de m’avoir réveillé. Je me sens enfin revivre !
Et c’était vrai ! Tandis qu’il parlait, il sentait l’essence éternelle du Poète-Griot se fondre en lui, sans chagrin ni regrets, apaisé. Il la sentait couler joyeuse avec sa sève régénérée. Et son souffle un peu lourd d’Arbre profondément enfoncé dans la terre asséchée, s’élevait et dansait, là-haut, tout là-haut, dans le vent, avec celui aérien de son ami désormais si loin et pourtant si près de nous.
« Je suis Baobab. Je suis l’Arbre à palabres. Avec Patou, sœur d’Ysengrin le Loup, je vous attends. Venez vous asseoir à l’ombre de mon feuillage. Venez vider votre cœur. Venez raconter vos histoires folles ou sages, tristes ou gaies. Parlez ! Je vous écoute… Il vous écoute ! »

***
Sous ton arbre

Sous ton arbre à palabres je viens Ysengrin
Déposer mon fardeau lourd encor de chagrin
Mais aussi quelques fleurs à l’odeur enivrante
En hommage, poète, à ta verve charmante
Sous ton arbre l’ami, se partagent les maux
Tout autant que les rêves d’un monde plus beau
Où règneraient sans fin l’amour et la sagesse
Où ceux qui nous gouvernent tiendraient leurs promesses
Sous ton arbre le Loup, j’entends toujours ta voix
Tes rimes qui mettaient les femmes en émoi
Ah combien nous l’aimions ta poésie légère
Et ta grivoiserie devenue légendaire !
Sous ton arbre griot tu nous as rassemblés
Amoureux fou des mots, chantre de l’amitié.
Aujourd’hui une fée perpétue la légende
De ce fier Baobab que ton esprit transcende
Comment te remercier de nous avoir offert
La douceur de son ombre au milieu du désert
Sous ton arbre, Ysengrin, seule dans la nuit noire
Je t’écoute apaisée raconter tes histoires…

NB : Le blog de mon ami Ysengrin n'a jamais été fermé
Vous pouvez toujours lire ici :https://le-blog-d-ysengrin45.over-blog.com/

23 juillet 2025

Il faut appeler un chat, un chat

Extrait de mon recueil de nouvelles :"Mes histoires farfadesques" qui sera peut-être publié un jour...



Il faut appeler un chat, un chat

Sa vie était un enfer ! Ce n’était pas vraiment ce qu’il avait attendu de son mariage avec Marguerite trente ans plus tôt ! Le temps des fiançailles avait été tout rose, les épousailles joyeuses et les deux ou trois premiers mois, idylliques. Juste le temps pour lui de s’éprendre encore d’avantage de cette belle jeune femme qui avait jeté son dévolu sur le garçon simple et sans prétention, presque ordinaire, qu’il était à l’époque, alors même que les plus magnifiques mâles de la ville rêvaient de la conquérir.
Puis il avait très vite déchanté et s’était aperçu qu’en fait, il avait épousé la pire des viragos.
À croire que Marguerite avait été adjudant- chef dans une vie antérieure !La mâtine avait bien caché son jeu pour sûr !
Au temps merveilleux de leur rencontre, elle était montrée douce à souhait, réservée, câline, très amoureuse, respectueuse de l’homme qu’elle avait choisi pour partager sa vie, pleine d’admiration disait-elle, pour ses qualités d’âme, sa probité, la gentillesse dont il faisait preuve envers autrui. Sa générosité naturelle, sa sagesse, son calme rassurant, l’avaient séduite, tout comme les attentions délicates dont il l’entourait. Elle n’aimait pas, affirmait-elle – il n’avait compris que trop tard pourquoi – ces machos aux gros muscles et à la petite cervelle qui lui couraient après, pas plus que ces golden boys prétentieux qui croyaient que leur argent leur donnait tous les droits sur elle. En somme, il n’avait eu aucun mal à voir en elle la femme idéale, en tout point digne de faire une épouse adorable que lui envieraient ses amis et dont le féliciteraient ses parents. Jamais alors, il n’avait remarqué les regards circonspects que ces derniers avaient jetés à l’élue de son cœur lorsqu’il la leur avait présentée comme sa future femme. Des regards qui disaient : « trop gentille, trop jolie, trop parfaite, trop polie pour être honnête ! ». Et s’ils avaient dit tout haut ce qu’ils pensaient tout bas, il ne les eût pas écoutés, déjà trop profondément sous l’emprise de sa belle, une perle rare, comme il le leur chantait à tout propos et sur tous les tons !
Qui mieux qu’eux, rendus clairvoyants par l’amour qu’ils portaient à leur fils unique, aurait pu soupçonner que cette jeune fille élégante, ravissante et si « gentille », cachait sous cette parfaite apparence, une mégère impitoyable ?
Marguerite était une maniaque de l’ordre, du rangement, de la propreté, de l’organisation domestique, de la planification en tous genres.
Elle avait calculé le nombre de leurs enfants et programmé leur conception. Selon son bon vouloir, ils avaient eu le premier un an après leur mariage, le deuxième deux ans plus tard et le dernier encore deux ans après. Elle était allée jusqu’à en choisir le sexe et le hasard parfaitement secondé par les spermatozoïdes particulièrement obéissants de son mari, s’était plié à sa loi : un fils, une fille et encore un fils, après quoi elle s’était fait ligaturer les trompes, prétextant des problèmes gynécologiques antérieurs à sa vie de femme mariée et fort opportunément réapparus après sa dernière grossesse.
Il avait dû s’incliner et renoncer à de futures paternités. Lui qui rêvait d’une famille nombreuse pour compenser ses longues années solitaires d’enfant unique, il avait rengainé ses rêves sans mot dire pour ne pas lui déplaire. Il l’aimait et pour lui, cet amour inconditionnel avait force de loi.
Au nom de cet amour, il acceptait les yeux fermés son impossible caractère, sa soif de domination, son extrême méticulosité et cette façon qu’elle avait de tout régenter. Au nom de cet amour et au nom de la paix qu’il désirait voir régner dans son ménage, tout comme ses enfants il obéissait aux règles multiples et incontournables qu’elle affichait quotidiennement sur le tableau accroché à cet effet, bien en vue, sur le mur de la cuisine le mieux exposé : heures sacro saintes des repas, liste des courses, des tours de corvées, consignes drastiques concernant le rangement, l’hygiène aussi, du lavage des mains au brossage des dents dûment minutés, du nettoyage du lavabo, de la douche ou de la cuvette des WC après usage à la réfection des lits chaque matin, et au carré s’il vous plait ! Les menus étaient établis pour la semaine et eux aussi inscrits chaque jour, du petit déjeuner au dîner, en passant par le goûter des gamins et l’on s’y conformait strictement, quoi qu’il en coûte.
Nulle fantaisie autorisée, nulle dérogation à la planification maternelle. Elle minutait et contrôlait autant que faire se peut, l’emploi du temps de chacun, du lever au coucher. Elle proclamait chaque soir l’extinction des feux à 22 h, comme à l’armée, du lundi au dimanche et le matin, dès 6 h, il ne lui manquait que le clairon pour sonner le réveil. Il savait qu’elle enrageait de ne pouvoir étendre sa mainmise sur eux tous en dehors de la maison et qu’elle se rattrapait dès le retour de ses troupes avec une exemplaire férocité.
Jusqu’au chat, farouche et indépendant, qui ployait l’échine devant elle. Elle était la seule à laquelle il consentît à obéir. Comme lui, il n’avait pas le choix. C’était d’ailleurs elle qui avait voulu un chat, de préférence à tout autre animal, après le départ des enfants, probablement parce qu'il lui manquait  un sujet à plier  à sa volonté ! C'était un mâle  qu’elle avait fait castrer dès l’âge de six mois pour qu’il renonce tout de suite à courir les minettes et qu’elle avait très vite appris à rentrer chaque soir. Pas question qu’il passe ses nuits dehors ! Elle tolérait déjà très mal qu’il sorte le jour ! Il était là pour chasser les souris des recoins sombres de leur grande maison, de la cave au grenier. Point.
Pauvre bête ! Une de ses rares fugues hors des horaires imposés par la maîtresse de maison, l’avait fait revenir borgne. Une bagarre avec un autre mâle, pas castré lui, et bien plus affûté qu’il ne pouvait l’être, et pour cause, aux combats de rue. Lui aussi subissait la tyrannie de Marguerite et il le faisait manifestement pour son maître qu’il vénérait.
Tel était le triste constat que faisait Henri, ledit matou couché en rond sur les genoux, tandis que leur acariâtre maîtresse finissait de préparer le dîner. Dans la demeure, pas d’autre bruit que celui des casseroles. Qui se fût permis d’attirer sur lui les foudres de Marguerite ? Laquelle, lorsqu’elle officiait devant ses fourneaux, n’avait jamais toléré le moindre dérangement. Henri se souvenait parfaitement de l’unique fois où il avait contrevenu à cette règle, et ce parce qu’il ne la connaissait pas encore. C’était un dimanche, dans les tous premiers temps de leur mariage. Il s’était permis une petite incursion du côté de la marmite dont il avait soulevé le couvercle, pour en goûter du bout du doigt le savoureux contenu. Prêt à lui en faire compliment, il s’était retourné et retrouvé face à sa jeune épouse furibarde :
-Ne fais plus jamais cela ! C’est dégoûtant ! Et puis j’aime autant te prévenir avant que tu ne prennes de mauvaises habitudes, j’ai une sainte horreur qu’on vienne m’espionner dans ma cuisine ! Avait-elle fulminé.
- Eh chérie ! Regarde, c’est moi ! Ton petit mari adoré ! Avait-il tenté de plaisanter.
- Je ne veux personne dans mes pattes pendant que je fais à manger ! Ni toi ni le pape ni ma mère ni les gosses plus tard ! C’est clair ? La cuisine, c’est mon domaine strictement réservé ! Et pendant que j’en suis aux mises au point, si tu pouvais éviter la télé pendant que je cuisine, ce serait sympa. Je ne vois pas mais j’entends, alors ça me distrait et je me mélange. Mais après tout, si tu veux manger sucré au lieu de salé. Ou trop poivré…Libre à toi !
- Bien sûr que non ma chérie ! Je comprends ! Je ne te dérangerai plus, promis ! Avait-il accepté penaud.
Et il avait quitté la cuisine. De retour dans le salon, il avait éteint la télé et s’était absorbé dans la lecture de son journal sportif en attendant de passer à table. Après tout, il n’allait pas se plaindre d’être traité comme un pacha ! Il était prêt à bien des concessions pour que leur mariage soit heureux et celle-là était vraiment petite !
Année après année, la « petite » concession était devenue énorme et la règle du silence pendant que Marguerite cuisinait, était devenue terrible oukase et pesant boulet.
Pas de musique, pas de télé, pas de chahut ou de chamailleries. Ni rires ni larmes ni conversations oiseuses sur la météo ou quelque autre sujet que ce soit. Et bien entendu, pas de miaulements intempestifs de monsieur Chat pour réclamer sa gamelle. Nul autrefois, pas même les enfants au demeurant normalement turbulents à l’école, ne se fût risqué à rompre cette règle du silence qu’elle imposait à tous. Dès leur retour, les gamins montaient faire leurs devoirs dans leurs chambres respectives. Lui s’installait dans son fauteuil pour lire le journal, le chat pelotonné sur les genoux. Et chacun se taisait religieusement jusqu’à ce que madame se décide à battre le rappel de ses troupes à 19h30 précises.
Trente ans de bagne pour lui. Un peu moins pour les enfants qui avaient quitté la maison sitôt qu’ils avaient pu. Le premier avait choisi la vie monastique, faite de silence et de contemplation. Il était prêt à prononcer ses vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Pour ce dernier sacrifice, il n’aurait aucun mal, il avait été à bonne école ! La seconde était jeune mariée et déjà en passe de divorcer d’un mari trop autoritaire.
Le troisième enfin, que l’abusive domination maternelle avait brisé, ne supportait pas l’idée de vivre avec une femme, le risque était trop grand de tomber sur une « Marie j’ordonne » comme sa mère. Il était gay et assumait au mieux ce que Marguerite appelait sa perversion alors que lui, le père, ne comprenait que trop bien ce choix de son petit dernier…
Lui seul demeurait donc, qui perpétuait le rituel vespéral devenu insupportable au fil du temps, tout en remuant mais en silence bien sûr, de sombres et tumultueuses pensées, ponctuées par les ronronnements discrets de son ami félin, endormi comme chaque soir sur ses genoux. Un bon moyen pour la petite bête de tromper sa faim jusqu’à 19h30.
Oh oui ! D’année en année, sa vie était devenue un enfer !
La hargne de Marguerite, ses perpétuelles tracasseries, avaient peu à peu atténué puis tué l’amour qu’il lui portait et l’avaient remplacé par de l’amertume, de la désillusion et un tas de rancœurs inexprimées, d’autant plus douloureuses qu’il s’obligeait encore à les taire, par habitude, par lassitude, juste pour préserver le peu de paix qu’elle consentait à lui laisser.
Il enviait l’animal devenu son seul ami, son confident. Il lui parlait doucement, lui racontait sa peine ses déboires, ses colères rentrées, ses désirs de vengeance réprimés. Il avait toujours été pacifiste, ennemi des querelles stériles et des joutes verbales où le ton monte, monte jusqu’à l’explosion finale et meurtrière. Il était avant tout un amoureux inconditionnel de la tranquillité, voilà pourquoi il avait toujours renoncé à se battre contre le despotisme de sa femme. Pour ça et par amour. Un amour imbécile et lâche, jamais vraiment payé de retour.
Ce qu’elle avait aimé en lui, c’était le compagnon fidèle, le procréateur de ses enfants, le toutou obéissant. Et voilà qu’aujourd’hui, la manipulation de sa marionnette favorite ne lui suffisait plus. Elle voulait un adversaire digne d’elle. Ce misérable et trop malléable fantoche – c’est ainsi qu’elle en était venue à le considérer – l’ennuyait à mourir. Elle désirait encore son obéissance, certes, mais elle eût voulu qu’en prime, il se rebiffât désormais, pour faire de sa soumission une victoire chèrement acquise. Car bien sûr, elle ne doutait pas de la victoire finale. En somme, elle avait fini par comprendre ce dicton : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. », Alors elle l’asticotait sans relâche, pour des riens, espérant contre toute attente le faire sortir de ses gonds, enfin ! Le voir en colère, rebelle, résistant de l’impossible puis, au terme de la lutte, se l’asservir plus encore !
Il résistait pourtant ! Mais pas comme elle le souhaitait. En silence, profil bas, tandis que dans son cœur, la haine enflait en même temps que le désir de la détruire, de la déchirer, de lacérer ce beau visage qui jamais plus ne lui souriait comme autrefois, dans un passé lointain et révolu, lorsqu’elle l’avait séduit. Et il se taisait, ravalait son exaspération, ne prenant même plus la peine de lever les yeux de son journal lorsqu’elle l’agressait, lui assénant à l’envie les éternels poncifs dont elle l’avait toujours abreuvé et qu’il avait subis sans broncher des années durant tels :
« Le temps, c’est de l’argent ! », « Qui perd son temps perd sa vie ! », « L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt ! », « L’heure, c’est l’heure ! Avant l’heure etc… », « Qui n’avance pas recule ! », « Il vaut mieux être une heure en avance qu’une minute en retard ! »…
Et ainsi de suite. Elle en avait toute une collection dont sa préférée qu’elle ne cessait de répéter à qui voulait l’entendre alors qu’il était bien le seul à l’écouter encore :
- J’aime que les choses soient claires ! Il n’y a pas à tourner autour du pot, il faut appeler un chat, un chat !
« Appeler un chat, un chat. ». Elle adorait ce cliché et l’utilisait pour un oui pour un non, sans raison et sans discernement. C’est ce constat plus que tout autre qui mettait un comble à l’amertume d’Henri et à sa désillusion. Il avait cru épouser une femme intelligente et fine d’esprit alors qu’elle s’était révélée, à l’usage, plus bête que son chat justement !
Marguerite était pleine de préjugés d’un autre âge et la tête farcie d’un fatras d’idées toutes faites auxquelles elle se raccrochait, n’ayant rien d’autre à quoi le faire. Des idées derrière lesquelles elle s’abritait et grâce auxquelles elle avait réussi à masquer, pour un temps du moins, sa bêtise et son inculture.
Sans faire preuve de vaillance –il reconnaissait n’en avoir pas une once – il avait tout supporté par amour, pour la paix, pour ses enfants. Il l’avait fait naturellement car il était dans son caractère d’être complaisant, voire débonnaire mais c’était fini, bien fini ! Il n’en pouvait vraiment plus ! Il avait atteint un point de saturation de Marguerite tel qu’il aurait volontiers échangé sa place avec le chat pour n’avoir plus à la subir. Il lui eût alors suffi ou de s’éclipser discrètement, ainsi que le faisait le matou lorsque la maîtresse était particulièrement de mauvais poil, ou comme l’animal le faisait en cet instant précis, de se mettre en boule sur les genoux du patron en attendant sa pâtée du soir, sans se soucier des habituelles récriminations de la harpie. Laquelle, tout en ronchonnant, s’activait dans la cuisine à grands bruits de poêles et de casseroles.
La loi du silence, c’était pour les autres !
Bercé par ces réconfortantes pensées, une main caressante posée sur l’échine du chat, Henri finit par s’assoupir… Il rêvait, bienheureux, lorsque la voix aigre de sa bien- aimée le tira brutalement de sa béatitude.
La salope ! Il était si bien ! Marre de cette bonne femme ! Il ouvrit les yeux, s’étira… Mince !
Il était bien au chaud sur…les genoux de…de qui ? Une main douce sur son dos, le caressait… Il en…ronronna d’aise.
Une voix dans sa tête lui susurrait :
« Allez mon vieux Henri ! Vas-y ! C’est le moment où jamais ! »
Il frotta sa tête contre le pull de laine de…mais de qui bon sang de bonsoir ? S’étira une fois encore, creusant l’échine, griffant légèrement le velours côtelé du pantalon de… de son pantalon !
« Vas mon pote ! Cours et te venge ! » Reprit la voix.
Il miaula un merci, sauta lestement sur le sol - fini les douloureux rhumatismes - se faufila dans la cuisine…
Un hurlement strident retentit. La mégère échevelée apparut, le visage en sang lacéré de cruelles griffures.
- Henri ! Fous- moi cette sale bête dehors ! Hurla-t-elle, décomposée et pâle de fureur.
Lequel Henri, bien dans sa nouvelle peau ma fois, réapparut le poil hérissé, comme il se doit pour un chat énervé et vint se réfugier près de l’homme qui s’était levé.
Son remplaçant dans sa peau de mari de Marguerite, se baissa, le prit dans ses bras et lui murmura : « Bravo Henri ! » En le grattant derrière l’oreille. « Rrrrrrr ! » C’était rudement agréable ! – puis se rassit posément dans leur fauteuil, Henri le chat rassuré sur les genoux.
- Pas question ! répondit-il sans sourciller, c’est mon chat ! Tu as sûrement fait quelque chose qui lui a déplu. Il s’est vengé, c’est normal ! Après tout, c’est un chat !
- Henri ! Vitupéra-t-elle.
- Stop ma chère ! Il n’y a plus d’Henri qui compte ! Comme tu le dis si bien, moi aussi j’aime que les choses soient claires, il faut appeler un chat, un chat et j’ajouterais, il faut appeler un homme un homme. Je suis cet homme, c’est mon chat et il n’ira nulle part sans moi, c’est bien compris ? 
À partir de maintenant, cette garce de Marguerite qui leur avait pourri la vie, allait payer.
Elle avait enfin trouvé son maître !

22 juillet 2025

Tournage...En décalé

Histoire de joie d'une fille d'amour

«Quand la belle à succès rencontra l'acteur de nuit, ce fut le coup d'artichaut dans son cœur de foudre ! Pour celle que l'on qualifiait de fille d'Autan, c'est comme si un vent de joie l'avait secouée des pieds à la tête. Elle en vacilla sur ses talons moulants et se mit à frissonner dans son pull aiguille. Sa vie de fée allait-elle enfin se transformer en conte de galère ? Allait-elle quitter son trottoir de duchesse pour un château malfamé ? Si elle en croyait le regard huppé du jeune homme de velours, elle avait toutes ses chances ! Ahhh échanger les paires de caresses violentes de son souteneur contre de douces baffes  amoureuses ! Elle en rêvait ! Quitter son manteau de brocart miteux pour enfiler une étole de misère brodée de soie... Enfin ! Quand il s'approcha d'elle de sa  souple démarche glacée et posa sur ses épaules félines sa chaude écharpe en cachemire, elle sut que sa réalité allait devenir son rêve...»*
-Coupez ! C'est dans la boîte ! Hurla une voix de tournage sur le plateau métallique.
Une longue minute finale succéda à cette scène de silence. Vide de fatigue, abrutie d'énergie, Daphné n'avait qu'une envie,se retirer dans sa caravane réparatrice pour y f aire une sieste de luxe ! Impossible ! Elle était l'actrice de pacotille de cette œuvre principale : le tout premier auteur d'un jeune film en devenir. Une bluette attardée pour midinette de quatre sous. Et des sous, elle en avait grand besoin Daphné, pour payer les coquettes traites de sa lourde villa sur la côte d'azur, nourrir son chien siamois et ses quatre chats de chasse !
- On est à la pause, on y retourne ! Fini la bourre ! Brailla le metteur en scène de l'assistant !
Elle sortit un rouge de tube à lèvres de sa trousse de récriminations,rengaina les maquillages qu'elle s'apprêtait à jeter à la prétention de ce jeune con plein de figure, et s'en remis une couche bien pâle sur sa bouche trop épaisse. Puis d'un pas nonchalant, elle se pressa sans se diriger vers le tournage de plateau pour y ré endosser la peau de fille d'amour de cette triste histoire de joie.

09 juillet 2025

Un futur peu enviable

 Prisonnière

Un léger bourdonnement à l’intérieur de sa tête et voilà tout ! Le bandeau électromagnétique était refermé. Elle était maintenant prisonnière, jusqu’à ce que la Haute-Autorité la délivre de ce carcan cérébral. Á côté de cette quasi invisible contrainte, le bracelet électronique d’antan faisait figure de joujou. Il n’était jamais qu’une balise qui permettait de localiser son porteur à tout moment. Qu’il sorte de son périmètre autorisé, et on lui tombait dessus à la vitesse grand V. Rien de bien méchant en somme !
Son bandeau, c’était une autre affaire !  Pour le lui fixer, on avait complètement rasé sa courte chevelure noire et bouclée et afin d’empêcher la repousse, on avait enduit son crâne désormais lisse, d’un gel permanent. Ce qui la classait jusqu’à sa libération, dans la catégorie des « Libres-Prisonniers ». Libres parce qu’ils n’étaient pas enfermés en cellule comme les « criminels » d’autrefois. Prisonniers parce que leur bandeau leur interdisait tout déplacement hors des limites de leur résidence. Le moindre faux pas et l’impulsion magnétique que recevaient leurs neurones connectés, les dissuadait de recommencer !
Maybe se serait tapé la tête contre les murs si cela ne lui avait pas été aussi interdit que le plus petit dérapage dans l’itinéraire programmé qui l’attendait à partir de maintenant. La navette de la police emprunta la voie inférieure et après un cour vol, la déposa devant son cube d’habitation. La voix désincarnée de l’IAP qui l’accompagnait, lui délivra les dernières instructions : « Matricule M70, tu es attendue à la ferme hydroponique à 5 heures demain matin. Le moindre retard sera sanctionné ». Puis la portière magnétique de la navette se referma en chuintant et le véhicule électro porté s’éleva et se positionna dans son couloir de circulation. Il s’éloigna rapidement, la laissant seule, totalement démunie devant le bloc transparent qui allait lui servir de « maison » tout le temps que durerait sa condamnation. Semblable à tous ceux de ce secteur pénitentiaire classé «Niveau 1 de Rétention», c’était une cellule impersonnelle, tout juste fonctionnelle, qui la priverait de toute intimité, sauf la nuit où elle s’occulterait pour la laisser se laver puis dormir à l’abri des regards.
Elle était prisonnière ! Prisonnière ! Le verdict était tombé  la veille : deux ans !
Tout cela parce qu'elle avait simplement omis de saluer comme il se doit un Haut-Résident en visite dans son Unité de Travail. Aucune rébellion dans cet oubli inexcusable ! Non, juste une étourderie, qu'elle ne parvenait pas à s'expliquer. Quel fil s'était déconnecté dans son cerveau programmé depuis sa naissance pour obéir à la moindre règle édictée par le premier ministre du Haut Gouverneur ? Des règles que faisait appliquer sans état d'âme, le Gouverneur de la Cité Basse.
En tout cas, la sentence aussi dure qu'elle soit était justifiée, elle le savait. Du rang relativement enviable de Première Responsable de l'Unité de production vestimentaire de la Cité Basse, en charge de dix Ouvriers Qualifiés Humains et d'autant d'Ouvriers Androïdes, elle allait passer à celui beaucoup plus pénible de Jardinière troisième catégorie - la plus basse- dans les serres hydroponiques où étaient cultivés avec grand soin, les diverses variétés de légumes et de fruits servis à la table des Hauts Résidents. Pour son plus grand malheur, son niveau de réclusion, était situé en dessous de la Cité Basse et n'était éclairé que par un soleil aussi artificiel que permanent. Aussi vif qu'il soit, il ne pouvait rivaliser avec la lueur magnifique et réelle de l'astre solaire qui éclairait encore l'ensemble de la Cité, de son glorieux sommet où résidaient les «Grands» : dirigeants et ministres, pontes de l'administration de la Cité, à sa base, la Cité Basse réservée aux Travailleurs : Ouvriers qualifiés et leurs Responsables désignés au mérite. 
Dans les serres, travaillaient uniquement les «Libres -Prisonniers» comme Maybe. Mais plus bas encore sous les serres , existait la «Sous Cité», celle des Esclaves où, s'échinaient sans relâche à des tâches ingrates et usantes, tous ceux qu'on y avait relégués pour faute grave contre la Cité : les Prisonniers à vie qui n'auraient plus jamais la chance de revoir le soleil. Ils y menaient une existence de forçats. jusqu'à la mort. Ils y faisaient des enfants aussi, qui héritaient du triste sort de leurs parents Eux n'avaient jamais vu le soleil et ils mourraient sans le voir.
Deux ans ! C'était si peu en comparaison de ce qu'enduraient les Prisonniers à vie ! Deux ans à tenir et plus aucun droit à l'erreur pour Maybe si elle ne voulait pas finir ses jours comme esclave dans les tréfonds obscurs de la Sous-Cité.


07 juillet 2025

Ainsi...Narrateur


Ainsi...Narrateur ou La curiosité est

Comme chaque matin, dès l’aube, Michelle S faisait son jogging. Elle avait vu un reportage sur les bienfaits incontestables de cette pratique très matinale. Elle s’y était donc mise sine die. Une petite heure de course tranquille un peu avant le lever du soleil ; puis une bonne douche suivie d’un solide petit déjeuner et elle prenait revigorée le chemin de l’école du quartier difficile où elle tentait péniblement d’inculquer connaissances et civisme à une bande de gamins… fatigants ! Un poste qu’elle n’avait pu refuser. Célibataire, sans attaches, elle débutait dans la profession.
C’était toujours le même parcours dans le parc qui jouxtait sa résidence. Le premier lever aux aurores avait été rude mais elle s’y était faite et désormais, elle adorait ce décrassage du corps autant que de l’esprit ! En solitaire parce qu’elle était bien la seule du coin à jogger de si bon matin ! Du reste, ses collègues masculins et féminins, l’avaient mise en garde contre le risque qu’elle encourait à s’aventurer toute seule sur les sentiers presque en pleine nuit à certaines périodes de l’année.Ce qui était le cas en ce frais matin de décembre ! A une différence près, elle avait décidé in extremis de changer un peu son itinéraire habituel pour emprunter la petite rue faiblement éclairée qui longeait une usine désaffectée.
-C’est une ancienne entreprise de recyclage de textiles usagés, lui avait appris son charmant voisin de palier.
-Pierre-Marie ! S’était-il présenté presque timidement.
Un beau mec derrière ses affreuses lunettes à monture épaisse et noire. BCBG mais un peu coincé, lui avait-il semblé. Elle le voyait d’ailleurs très peu et seul le hasard les avait fait se croiser dans la cage d’escalier un dimanche matin. Son missel à la main, il se rendait visiblement à la messe dominicale ! Le dimanche, elle ne courait pas. C’était repos et une fois sur deux, elle allait voir ses parents qui habitaient à une centaine de kilomètres de là.
-Chouette ! Je suis passionnée de photo urbex ! Il faudra que j’aille y faire un tour un de ces quatre ! Au fait, moi c’est Michelle avait-elle jeté avant de s’élancer dans l’escalier.
Elle devait se dépêcher, ses parents très à cheval sur les horaires, l’attendaient pour déjeuner. Le jeune homme n’avait pas répondu. En fait, il l’avait à peine regardée lors de leur très bref échange. Elle supposait qu’au contraire d’elle, lui avait continué à descendre posément. Mais elle ne désespérait pas de parvenir à s’en faire un ami ! Il était vraiment très mignon ce mec finalement !
Mais revenons à ce frais matin de décembre. Elle devait bien s’avouer que ce bâtiment assez lugubre qui avait servi à recycler des nippes trop usagées pour servir encore et des tas d'autres déchets textiles d’après Pierre-Marie, l’attirait irrésistiblement. Elle brûlait d’y entrer, de l’explorer d’en flairer chaque recoin… C’était cela justement qui lui plaisait dans l’urbex. Capter la vie passée dans des lieux qui tombent en ruines. Il y a toujours un bon shoot à faire dans ces endroits abandonnés, pour qui sait regarder.
-Et toi, tu sais lui avait dit son frère aîné également féru de ce type de photos.
Il fallait qu’elle assouvisse son infinie curiosité. En plein jour, pas possible ! Le panneau « propriété privée, entrée interdite » était suffisamment dissuasif pour une jeune professeur des écoles censée apprendre le respect des règles et des lois à des gamins de CM2 très peu enclins à la discipline. Elle se devait d’être un bon exemple pour eux, pas vrai ? Mais à cette heure, qui risquait de la voir ? Pas un de ses élèves en tout cas ! Et elle n’avait encore jamais croisé d’autres joggers aussi matinaux qu’elle. Elle était persuadée que ce n’était pas ce matin qu’elle en rencontrerait un ! Elle allait entrer en douce, histoire de faire un premier repérage. Pour cela, elle s’était munie d’une bonne lampe de poche à large faisceau en plus de sa coutumière frontale. Ensuite, elle n’aurait plus qu’à revenir aux beaux jours, quand le soleil se lève plus tôt. Il y avait des tas de supers photos à faire dans cette vieille fabrique, elle en était sûre ! Elle s’en réjouissait à l’avance ! Ils allaient en baver d’envie ses potes du groupe « La photo ça démange » dont elle faisait partie sur Facebook!
Elle y était, enfin ! Ça la démangeait, oui ! Sa curiosité la démangeait ! Il fallait qu’elle gratte ! Fébrile, elle longea le haut mur pour trouver un accès pas trop ardu pour elle et son mètre cinquante –cinq. Sportive oui, acrobate, non !
Après quelques mètres dans une semi obscurité assez angoissante, elle trouva l’entrée principale. Une haute grille avec le fameux panneau « propriété privée ». Haute mais pas trop dure à escalader, même pour elle ! A y regarder de plus près, elle s’aperçut que la grille mangée par la rouille, était entr’ouverte. Le lourd cadenas pendouillait tristement au bout de sa chaîne inutile. Voilà qui réduisait à néant la mention « entrée interdite ».Bizarre mais qu’elle aubaine pour la fouineuse patentée ! Même si elle était un peu déçue de n’être pas la première à avoir brisé l’interdit ! Elle s’y faufila sans remord ni arrière-pensée. Pour le moment, sa lampe frontale suffisait. Elle n’eut pas besoin de forcer la grande porte de fer de l'usine. Quelqu’un d’autre l’avait fait avant elle. Zut ! Mais bon ! Elle n’allait pas se plaindre qu’on lui ait facilité la tâche ! Elle avait joué la prudence en s’armant d’une bombe lacrymo et d’un bâton de marche.
« Sait-on jamais ? » S’était-elle dite !
L’entrée de l 'entreprise désaffectée ne lui montra rien de fascinant. Des gravats, des toiles d’araignées… Elle entreprit donc d’explorer le reste de la grande bâtisse abandonnée aux rats et à la poussière de l’oubli. Ce furent d’abord un bruit étrange, comme une espèce de ronflement, puis, après quelques pas de plus, une lueur diffuse, qui stoppèrent net sa progression tâtonnante. Elle retint sa respiration, envahie d’une crainte soudaine. Puis la curiosité l’emporta sur la peur.
- J’ai dû rêver ! C’est à force de m’entendre dire que je suis trop imprudente ! Lança-t-elle à voix haute pour chasser les derniers miasmes de cette angoisse disproportionnée.
Et, le bâton pointé en avant - au moins ça tout de même - elle se dirigea courageusement vers la porte à double battant entrebâillée, d’où avaient semblé provenir le bruit et la lueur.
Ladite porte, un large sas de plexiglass en fait, laissait passer à la fois les premières lueurs de l’aube et la lumière falote d’un haut réverbère. Quant à l’espèce de ronflement, ce n’était que le souffle de la trouillarde qu’elle allait finir par devenir si elle continuait à écouter les incessantes mises en garde de ses collègues qui résonnaient dans sa tête ! Elle réprima un fou-rire qui aurait sonné faux même à ses propres oreilles et elle entra…
Dans l’ombre, près de ce qui ressemblait à une grande cuve rouge posée à l’horizontale sur un support d’aciee dans laquelle ronflait… un feu d’enfer, se tenait….Pierre- Marie. Et ce qu’il tenait bien en main, ce n’était pas un missel.
Michelle S, joggeuse très matinale et grande amatrice de photo urbex, ne vit jamais celle, très macabre, que prit un journaliste trois semaines plus tard : le four rouge de l’ancienne entreprise de recyclage, débordant de cendres.
Dans le magma fuligineux, les experts de la police scientifique, retrouvèrent quelques fragments d’os dont l'analyse de l’ADN détermina qu’il s’agissait entre autre, de ceux d’une jeune professeure des écoles qui ne s’était pas présentée dans la classe où elle enseignait, un frais matin de décembre.
L’analyse des cendres a déjà permis d’élucider plusieurs affaires de disparitions de jeunes femmes célibataires, entre 20 et 30 ans. Ainsi a-t-on retrouvé la trace carbonisée de Sarah H, secrétaire de mairie à X, disparue depuis 3 ans sans explication, celle de Bénédicte T, coiffeuse à domicile, disparue depuis deux ans, celle de Barbara A, serveuse, disparue l‘année précédente... Vu la grande quantité de cendres, et le nombre de disparitions encore inexpliquées de jeunes femmes de la région de X, les analyses se poursuivent. De bien brûlants "cold case" si l'on peut dire !
Le serial-incinérateur court toujours !
Non, il marche tranquille vous aurait assuré Michelle S

©Anne-Marie Lejeune

06 mars 2025

Un conte pour rêver...


 La dernière fée
Au cœur le plus profond de la forêt, non loin  du petit village de Trégadec, vit en solitaire, la dernière fée du monde. Son nom, imprononçable pour un humain peut se traduire à peu près ainsi : Lleweelin. Plus aucun bois, aucune forêt nulle-part sur la planète n’abrite la moindre magie. Fées, lutins, trolls, elfes, gnomes, farfadets, licornes et autres membres du peuple féérique, ont tous fini par déserter les uns après les autres, ces lieux jadis si propices à leur existence ! Même la légendaire Brocéliande n’est désormais plus qu’une forêt comme les autres, seulement habitée par les hôtes habituels des sous-bois : oiseaux, cerfs et biches, sangliers... Des hôtes discrets et craintifs  généralement invisibles aux yeux des promeneurs. Nos frères animaux que l’on dit « sauvages » ont tendance à fuir les Humains, sûrement parce que pour eux, c’est nous qui sommes des sauvages !
Pour en revenir à la magie ancestrale, seule la forêt de Trégadec en abrite donc encore une  minuscule étincelle plus très loin de s’éteindre ! Et pour cause ! Car vous le savez bien, pour que vive la magie, il faut y croire ! Or, à Trégadec comme ailleurs la Technologie est reine ! Une souveraine froide,  impitoyable. Sans âme ! Le petit hameau oublié, perdu au fin fond de la Bretagne a  longtemps échappé à sa tyrannie, protégé qu’il était par les enchantements tissés par le peuple féérique caché dans sa forêt.  Des enchantements puissants, renforcés par l’imagination fertile de la plupart des enfants et par celle de certains adultes, férus de contes et de belles histoires qu’ils se plaisaient à raconter aux bambins pour les endormir.
Puis le progrès a fait son apparition.
D’abord, c’est la route qui est  venue jusqu’à Trégadec. Une belle route carrossable, bien loin du chemin plein d’ornières qu’il fallait emprunter auparavant pour y venir des autres villages ! Et cela sembla bel bon aux villageois, de ne plus avoir l’impression d’être isolés du arrivées les inventions de la grande cité. Les tracteurs  ont remplacé  bœufs et chevaux dans les champs. Les voitures ont remplacé les charrettes, les vélos et les pieds. L’eau courante  a remplacé les puits mais surtout, il y a  eu  de moins en moins de balades au cœur de la forêt pour aller boire l’eau de la source magique censée protéger de mille maux et favoriser la fécondité !
« Seulement censée ! Mais c’était vrai, dit Lleweelin puisqu’ils y croyaient »
Puis l’Électricité, l’arme la plus pernicieuse de la reine Technologie, est entrée dans tous les foyers ! Là encore,  cela a paru  merveilleux aux habitants de Trégadec ! Fini les bougies et autres lampes à huile pour s’éclairer ! Il leur suffisait désormais d’appuyer sur un interrupteur pour avoir de la lumière ! Magique ! Et ce n’était que le début ! L’invasion des braves soldats de sa majesté Technologie  allait se poursuivre jusqu’à la disparition totale de l’ancien mode de vie. S’installèrent en despotes dans les maisons, réfrigérateurs, lave-linge, lave-vaisselle, aspirateurs et autres petits robots ménagers pour simplifier la vie. Puis vinrent le téléphone,  la radio, la télévision, plus tyranniques encore… Adieu les veillées entre amis les beaux soirs d’été, les promenades du dimanche dans la forêt enchantée. On n’allait plus au muguet ou aux violettes le printemps venu ! C’était plus facile de se rendre en ville pour en acheter ! On n’en était pas encore aux loisirs programmés, clefs en main, mais on allait bientôt y arriver !
Les seuls qui résistaient encore à la despotique reine, étaient les anciens, fermement attachés aux  « bonnes vieilles méthodes et valeurs » comme ils s’entêtaient à le répéter !
« Indécrottables ! » Se moquaient les plus jeunes.
Et il y avait les enfants. Leur belle imagination, leurs jeux, leurs rêves d’aventures extraordinaires…Tout cela, nourri par les livres et par les histoires fabuleuses que leur contaient leurs grands-parents, en faisait les meilleurs résistants et du même coup,  des alliés de poids pour le peuple féérique de la forêt de Trégadec. Mais les derniers indécrottables  ont fini par disparaître et les enfants ont grandi en même temps que le progrès gagnait du terrain  dans le village ! Le coup de grâce a été porté par le développement brutal de l’informatique : consoles de jeux,  ordinateurs, réseau internet, tablettes, smartphones high-tech…Plus de temps pour les livres et les belles histoires. Plus de temps pour les jeux d’aventure, les cabanes dans le bois. Plus de place pour les rêves et l’imaginaire. Plus de place pour les contes !
Plus de place pour les fées…
Voilà pourquoi dans la forêt, la magie s’est peu à peu éteinte ! Voilà pourquoi Il n’y  reste plus qu’une fée, vieille, triste, désespérée. Presque moribonde.Mais pas encore disparue, non pas encore ! Pourquoi ? Me demanderez-vous peut-être. Oui pourquoi ? Parce que  qu’à Trégadec, une fillette plus curieuse que les autres gamins du village,  vient de retrouver un vieux livre de contes au fond d’une malle. Elle a soufflé sur la poussière qui le recouvrait et  l’a ouvert…
C’est un bel après- midi de mai. La forêt embaume. Assise sur une souche moussue, le livre ouvert sur les genoux, Maiwenn rêvasse, les yeux mi-clos. L’histoire qu’elle vient de lire l’a transportée dans un autre monde. Un monde féérique !  Autour d’elle, la clairière se réveille. Toute la forêt se réveille. Les oiseaux chantent à tue-tête. Un cerf majestueux, une gracieuse biche et un adorable faon s’approchent d’elle sans aucune crainte.Soudain, une douce présence la tire de sa torpeur bienheureuse. Une voix chantante comme la source magique où elle a bu tout à l’heure, chuchote à son oreille :
-Bonjour Maïwenn !
Elle ouvre les yeux. Devant elle se  tient  une  merveilleuse et extraordinaire créature. Aussi belle que la fée de son livre. Plus même ! Et vivante ! Aussi vivante que le grand cerf qui la regarde avec affection, elle en jurerait. Comme la regardent la biche et le faon. Aussi vivante que les oiseaux qui piaillent joyeusement dans les branches. Aussi vivante que les arbres verdoyants de ce  jour de printemps !
-Ohhhh ! Fait-elle, les yeux écarquillés en découvrant l’incroyable spectacle qui se déroule juste derrière la jolie dame. Une fée comme celle de son livre, assurément !
-Oui, je  le suis ! On m’appelle Lleweelin. Lui répond la jolie dame alors qu’elle n’a même pas posé sa question. Et ce que tu vois là, c’est tout le peuple féérique de la forêt de Trégadec que tu viens de réveiller. Merci Maïwenn !
Enfants du monde et vous aussi les grands, sachez que la magie ne s’éteindra pas tant qu’un seul d’entre vous continuera à y croire.

©A-M Lejeune
Ecrit le 3-06-2018 pour un défi d'Evy
NB : J'ai inventé Trégadec. Et pour le reste...


 

01 mars 2025

Les couleurs du Monde



Image générée par IA selon mes indications sur ce site :https://fr.123rf.com/ai-image-generator/
*
Et dieu créa le Monde...
Et Dieu créa le Monde. Et il vit que cela était triste.
Alors il le peignit et pour ce faire, il inventa les couleurs.
Il fit le bleu pour le ciel et pour la mer dans laquelle il se reflète. Et aussi le bleu-vert, pour l'océan.
Il fit le gris pour les jours de pluie, car sans la pluie, pas d'arc-en-ciel.
Il fit le bleu-nuit, qui n'a rien à voir avec le noir. Il y peignit l'argent et l'opale pour la lune, et l'or pour les étoiles...
Il fit un jaune si éblouissant pour le soleil, que même Lui ne pouvait le regarder en face sans brûler ses yeux divins.
Puis il fit le rouge flamboyant pour le soleil couchant. Cette couleur-là irait très bien aussi pour les volcans en éruption les coulées de lave, les flammes et les forêts d'automne. Il y ajouta des touches d'orange, de cuivre, de rouille...
Il fit toutes les sortes de nuances de vert qui se puisse imaginer, pour les feuilles des arbres, l'herbe, les mousses et les fougères, les tiges des fleurs, les milliards de plantes que son esprit immensément créatif avait fait pousser sur la planète.
Il composa une palette extraordinaire pour peindre les pétales des millions d'espèces de fleurs qu'il avait créées, pour habiller les millions d'espèces animales.
Pour la terre nourricière de toutes ces espèces, il fit des tons riches et chauds d'ocre, de bruns et de noirs.
Il fit le blond pour les blés murs, et les multiples tons de sable, pour les plages et les déserts de dunes.
Il fit le blanc pur et scintillant pour la neige, le givre et la glace, le blanc-bleuté pour la banquise.
Il fit le transparent pour l'eau...
Le monde minéral eut droit de sa divine part, à la même attention. Rochers, cailloux, pierres précieuses ou non, furent parés de mille couleurs.
Dieu débordait d'imagination. Et il avait le temps, tout le temps ! L'éternité !
Chaque jour il trempait son pinceau magique dans la palette irisée de l'arc-en-ciel et il inventait de nouvelles couleurs puis de nouvelles nuances à chacune d'elles. Et il peignait, peignait sans jamais se lasser...
Il mettait tant de cœur à l'ouvrage, que bientôt ce fut fini.
Lorsqu'il eut mis la dernière touche de couleur, il admira son tableau et vit que cela était beau !
Alors il créa les spectateurs de son œuvre magistrale, les Hommes.
A eux aussi il donna des couleurs différentes, mais pas trop ! Juste ce qu'il fallait pour qu'ils puissent se distinguer de leur décor multicolore… Il fit donc des blancs plus ou moins blancs, des noirs plus ou moins noirs, des rouges plus cuivrés que rouge au demeurant, des bronzés plus ou moins bronzés et des jaunes plus ou moins jaunes. C'était à son sens déjà pas mal ! De toute façon, il leur octroyait en plus une couleur invisible à l'œil nu : l'intelligence !
Quand ce fut fini, il se dit que l'ensemble de sa Création était bien belle et qu'il pouvait à présent se reposer.
Le problème, c'est qu'il se reposa tant et si longtemps, qu'il en oublia son tableau dans un coin de la Voie Lactée.
Quand il se réveilla enfin, les Humains, ses derniers coups de pinceau, avaient repeint le Monde à leur façon : rouge sang, couleur de guerre et de massacre, gris fumée, couleur de béton et de pollution, terre brûlée, noir de suie, couleur de forêts dévastées, de mort, de misère, de famine, de désespoir...
Il regarda et vit que cela était triste !
Où étaient ses merveilleuses couleurs ?
Alors il prit un gros chiffon, de l'essence térébenthine et il effaça à grands coups rageurs, les affreux barbouillages de ces sales gamins d'Hommes, et eux avec pendant qu'il y était !
Peut-être allait-il repeindre un nouveau Monde ?
Ailleurs...

©A-M Lejeune

27 janvier 2025

Ma pomme



Ma pomme
 Je suis loin d'être une grosse légume ! Si ma vie était un film, ce serait un vrai navet . Je n'ai pas un radis d'avance ! Faut dire que je bosse pour des queues de cerises ! Je m'échine à mi-temps dans une conserverie où je trie petits pois et carottes sur un tapis roulant. L'oseille c'est long à gagner et vite à perdre !
Avec ça je vais vous dire, les emmerdes, c'est toujours pour ma pomme !
Pas plus tard qu'hier, j'avais la banane en faisant le poireau à la sortie du taf de mon petit chou d'amour qui s'appelle Françoise mais que j'appelle Framboise, quand deux malfrats me sont tombés dessus à bras raccourcis ! Et paf, je me suis pris une volée de marrons en pleine poire ! Estourbi, je suis tombé dans les pommes. Quand je suis revenu à moi, réveillé à coups de gifles par une grande asperge de fliquette, j'avais le nez en patate et bien sûr mon portefeuille avait disparu ! Elle commençait à me courir sur le haricot la greluche à me taper dessus sans m'écouter mais j'ai eu beau protester et tenter de m'expliquer, elle m'a traîné manu militari jusqu'au panier à salade. Elle me prenait visiblement pour un sans abri , voire pour un ivrogne ! Elle était tellement pressée de me mettre au trou qu'elle appuyait comme une dingue sur le champignon, passant tous les feux à l'orange ! Un simple quidam au volant aurait pris une prune pour moins que ça ! Quand ma Framboise qui est fille d' avocat, est venue pour me sortir de là, on lui a dit que c'était pas ses oignons et on l'a envoyée aux fraises ! Un comble non ?
Vous vous pressez peut-être le citron à essayer de comprendre comment moi, pauvre pomme sans un radis j'ai une fille d'avocat comme petite amie ? Un hasard, je vous jure, un pur hasard ! Grâce à elle, en dépit de la guigne qui me poursuit, je garde la pêche !
©A-M Lejeune

15 janvier 2025

Un conte bizarre



C'est une drôle d'histoire que j'avais commencé à écrire pour mes petites filles il y a déjà quelques années et que je n'ai jamais vraiment terminée.
Tableau réalisé pour ce conte, avec des images (fond et personnages),générées par une IA  sur le site 123 RF, en fonction de mes instructions. 
Pour le chêne avec des feuilles en forme  de pages  colorées, l'es différents sites d'IA que j'ai consultés, n'ont pas compris ma demande, quelle que soit la façon dont je la tourne

Les facéties de madame Grindolin.

Un jour, dans une forêt tout ce qu’il y a de plus ordinaire, en apparence du moins, un lapin géant, qi marchait sur ses deux pattes arrière comme un humain, rencontra une petite fille minuscule. Lui, avait la taille d’un homme adulte, genre un mètre soixante-dix-huit, elle mesurait tout juste trois centimètres Il faillit l’écraser tellement elle était petite mais heureusement, comme chacun le sait, les lapins sont doués d’une excellente vision. Cela et le fait que la fillette eut si peur qu’elle cria très fort ! Si fort en dépit de sa toute petite taille, que le lapin, qui s’appelait Hector, soit dit en passant, en sursauta de surprise et s’arrêta net ! Juste à temps !
- Quel est donc ce drôle de bruit ? Couina-t-il sur le qui-vive. Il regarda par terre et vit une espèce de bestiole qui gigotait désespérément, plus grosse qu’une coccinelle, moins grande qu’un papillon. Il s’avisa qu’en tout, tout, tout petit, ça ressemblait à s’y méprendre à un de ces enfants d’humains comme il en croisait parfois avant queIl se baissa et prit précautionneusement l’être minuscule entre ses pattes, pour le regarder de plus près. C’était une petite fille très mignonne, avec des yeux bleus, autant qu’il put en juger, Elle avait de longs cheveux blonds tout bouclés et portait une robe rouge. Elle tremblait comme une feuille. Se pouvait-il que…Sans réfléchir d’avantage, et conscient toutefois qu’il risquait de lui faire peur il lui parla de sa plus douce voix. Il fallait qu’il sache !
-Qui es tu ? lui demanda-t-il. 
Elle ne sembla pas comprendre et se recroquevilla dans les poils de ses pattes. Bien sûr réalisa-t-il, ses deux longues incisives de rongeur rendaient son élocution difficile ! Et puis il ne parlait pas depuis longtemps. Il s’appliqua donc et redemanda doucement :
-Qui es tu ? Moi, c’est Hector !
-Je.. je m’appelle Lise, bégaya l’enfant. Je suis une petite fille !
-Ça, je l’ai bien vu ! Mais seulement parce que j’ai de bons yeux hein D’habitude, celles que je rencontre sont bien plus grandes que moi, tu dois le savoir ! Que t’est-il arrivé dis-moi ?
-U…une sorcière ma fait boire une potion et d’un seul coup, j’ai rétréci, rétréci jusqu’à…
-Je vois, je vois…
-J’avais si soif… je m’étais perdue… J’ai vu la jolie cabane dans une clairière… J’ai frappé à la porte…. Une vieille dame m’a ouvert.. Je lui ai demandé mon chemin et à boire. Elle m’a fait entrer. Je ne me méfiais pas, elle avait l’air si gentille…. Elle m’a donné un grand verre d’eau ! J’avais si soif que je l’ai bu d’un trait et…Voilà !
-Je comprends, je comprends… Toi aussi tu as rencontré madame Grindolin !
-Parce que tu la connais ? Oh bien sûr ! Que je suis bête !
-Je la connais oui ! Je faisais partie des lapins de son clapier ! Un jour, elle m’a fait manger des carottes très spéciales…Et voilà ! J’ai grandi, grandi et depuis, je parle aussi comme tu peux l’entendre ! Écoute Lise, je sens bien que tu as très peur de ce qu’il t’arrive mais il faut vraiment que tu voies le résultat surprenant de toutes les facéties de madame Grindolin ! Tu veux bien ?
-D’accord Répondit la fillette. 
Il la posa délicatement entre ses oreilles. 
-Agrippe-toi bien, on y va !
Tout en continuant à se raconter leurs mésaventures grindolinesques, ils partirent dans la forêt, à la rencontre des autres hôtes étranges qui la peuplaient. Au détour d’un sentier bordé de hautes fougères, ils tombèrent sur deux chats noirs en costume rouge à pois blancs, comme les champignons vénéneux vous savez ! Les…les amanites phalloïdes. Ils étaient tranquillement assis sur un tronc moussu et bavardaient gaiement de la pluie et du beau temps. Un peu plus loin, ils croisèrent un loup vêtu d’un long manteau de laine, d’un bonnet rouge et d’une écharpe assortie. Il était en train de boire un chocolat chaud avec une paille, en compagnie d’un mouton vert en smoking, nœud papillon et haut-de forme. Lise ne put s’empêcher de rire !
-Qu’ils sont drôles ces deux-là, s’esclaffa-t-elle !
-Je dirais plutôt, bizarres moi ! Ils n’étaient pas là hier eux !
-Ah bon ? Et les deux chats rouges ?
- Mick et Mouse ? Ils sont comme ça depuis trois jours ! 
-Hep, Lança-t-il aux buveurs de chocolat, vous êtes qui ?
-Moi c’est Herbert dit le loup. 
-Et moi, Léonard, Répondit le mouton, un léger reste de bêlement dans la voix.
-Madame Grindolin je suppose, demanda Hector. Depuis quand, et comment ?
-Hou hou hou, fit le loup rigolard, c’est arrivé hier à la tombée de la nuit. Elle m’a eu par surprise, en m’appâtant avec Léonard, son mouton de compagnie. Elle lui avait enduit la toison d’une huile tellement alléchante que je n’ai pu résister. Bon sang, il était déjà assaisonné, je n’avais plus qu’à le manger ! Je suis arrivé comme je sais le faire, à pas de loup…L’enclos de Léonard était ouvert. J’ai bondi sur ma proie…Á peine avais je entamé la peau de son cou, que nous étions instantanément transformés en ce que nous sommes à présent, deux inséparables amis !
-Bê…ê oui, Bêla le mouton, les meilleurs amis du monde ! Et j’adore mon costume !
Ils poursuivirent leur chemin. Lise allait d’étonnements en surprises. Ici, un hérisson rose laineux sur une balançoire fleurie ; là, un écureuil tout bleu, chantant la Traviata ; là encore, une biche en robe de soirée argentée dansant la valse aux bras d’un Renard-Charmant en pantalon noir et queue-de -pie blanc ! Un peu plus loin, ils papotèrent amicalement avec Balthazar, le sanglier bizarre, que la sorcellerie joueuse de madame Grindolin, avait peint en jaune citron. Pour couronner le tout, il était affublé d’une crête violette de dinosaure et d’une queue touffue de chat angora, une queue superbe au demeurant, aux couleurs de l’arc-en-ciel. Assis au pied d’un immense chêne violet dont le feuillage était composé de morceaux de papier coloriés comme par de malhabiles mains d’enfants, Balthazar sirotait son thé en mangeant une banane orange. Ils déclinèrent son invitation et repartirent à travers la forêt. Ils y firent encore des tas d’étonnantes rencontres ! Madame Grindolin s’était vraiment lâchée !
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Vous amuseriez-vous à me mettre en commentaire d'autres étranges rencontres qu'aurait pu faire Lise ?