L'étrange poème que j'ai partagé avec vous hier, fais partie du prologue des Duals que j'ai commencé à rédiger en 2017 et que je crains de na jamais terminer.
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« Fafaouchë ëbë ëlë dïbëlë,fafaouchï ëboï neï. Nüp münlïeï ëbenï ïlï dibëleï,nüp münliä ëbä yë. Fafaouchä ëkë ëlë trivalek, ëkë ëlë brovolek. Rögä ëkë älä rögädükä. Übränä ëkë älä bräbökä. Fafaouchä ëbä yë. Dïbëlä ëbä yë. Nivor sünraï fafaouchëkä kümä yë. Nivor maoum sïrä kümä yë. Man’dek ë’ Yëowl alä vïdikä dïbak dëbä. Antë mordankä yë. Antë cüneë münlië ïmtörë Yëowl.Plörëmë moë amkë. Plörëmä yë. Kin ïmvendrë Yëowl,nivor öcraëa ëbrä yë. Prïdmë ! Ü ! Prïdmë Yëowl ! Maoumä tö yë… »
Les mots résonnent comme une mélopée dans la cabane sombre à
peine éclairée par l’âtre rougeoyant.
Une femme presque aussi vieille que le chêne qui domine la pauvre
masure est assise près de la cheminée. Les mains tendues paumes en
bas vers les flammes elle récite la mystérieuse incantation en se
balançant d’avant en arrière. Dans son œil bleu, le droit,
brille une larme, D’un doigt furtif, comme prise en faute, elle
l’essuie avant qu’elle ne se fraie un chemin dans les rides
profondes de sa joue parcheminée. Dans l’œil gauche qui est aussi
noir qu’un ciel les soirs d’orage, c’est la colère qui brille
comme si elle se reprochait sa sensiblerie.
Au-dessus du feu crépitant, ses mains tremblent.
Elle a entendu les pas légers de l’enfant. Avant même qu’il
n’ait prononcé le moindre mot, elle sait ce qu’il va dire. Elle
entend les questions qu’il n’a pas encore posées.
Entre ses lèvres desséchées, les mots ne sont plus qu’un murmure
ténu :
- Fafaouchä ëbä yë... Dïbëlä ëbä yë… alä vïdikä…
Antë mordankä yë. Kin ïmvendrë Yëowl,nivor öcraëa ëbrä yë.
-Mä Kaë, pourquoi tu dis que je dois revenir ? Je ne suis pas
parti ! Et pourquoi tu dis que tu vas mourir ? Dis Mä Kaë,
tu ne vas pas mourir hein ? Tu n’es pas malade…
Il a utilisé le langage ancien...Mä Kaë. Elle savoure la douce
sonorité de ces mots tendres dans la bouche enfantine. Grand-mère…
Grand’ Ma comme il dit le plus souvent. Elle aime cet enfant bien
plus qu’elle n’a jamais aimé quiconque au cours de sa trop
longue existence.
Trop longue oui ! Pourtant il lui reste du chemin à parcourir
avant de remettre son âme aux mânes de ses ancêtres. Long et
douloureux puisqu’il passe par une terrible vérité. Il n’a pas
tout compris car elle a utilisé le langage ancien-ancien. Elle est
la seule à l’utiliser encore dans ses incantations. Non, il n’a
pas tout compris…
Demain, il va falloir lui dire…
- Viens sur mes genoux moë sokülük que je te raconte une belle
histoire.
L’enfant ne se fait pas prier. S’entendre appelé « mon
trésor » par cette voix rocailleuse qui gronde si souvent les
autres gamins, le fait chavirer. Il se sent si bien contre le cœur
de la vieille femme. L’odeur de son châle de laine imprégnée
de celle du bois qui brûle dans l’âtre le rassure.
-Maoumä yek tuyo Yëowl… Maoumä yek tuyo…Lui murmure-t-elle tandis qu’il se blottit contre son giron.
-Moi aussi je t’aime Grand’Ma
«Man’dek …Demain… » Se dit-elle. Et la goutte
salée qu’elle tentait encore de retenir s’échappe malgré elle
de la paupière rageusement serrée. Doucement, elle glisse et va se
perdre dans les sillons de sa joue….