14 mai 2025

Proposition N°104 de Nanou.

- Phrases : décrochage scolaire - formes souples et molles - chemise de nuit - militant écologiste - pendule énorme - chien de chasse - une mort instantanée.
- Mots ou expressions : sapé comme un milord – bouche – sandwich – couleur – grelotter.
- et/ou Thème : Animaux

Les souvenirs d'Éric

Depuis son algarade avec son père, Éric patauge dans la boue de ses souvenirs. Ils remontrent, tousde ce marécage nauséabond où il les avait jetésformes souples et molles, noires, puantes. C'est tellement douloureux qu'il en arrive à souhaiter une mort instantanée à celui qui lui a fait vivre cette enfance si peu enviable pour un gosse de riche, soit disant né avec une petite cuiller d'argent dans la bouche. Il revoit la pendule énorme qui trônait dans le salon. Une Comtoise en chêne, tellement grande qu'à 6 ans, il aurait presque pu se cacher dedans sans le balancier en cuivre. Il faut dire qu'il était plutôt de l'espèce des gringalets, au grand dam de son père qui ne cessait de lui répéter à quel point il avait rêvé d'un fils qui lui ressemble, grand et costaud comme lui ! Pas de cette espèce de fillette maladive qu'avait pondu sa femme ! Il la revoit, elle, sa mère, qui n'élevait jamais la voix contre le tyran mais venait en cachette le consoler dans son lit, le soir, quand il avait été envoyé grelotter pendant des heures en plein hiver dans la remise à outils du jardinier. «Juste histoire qu'il s'endurcisse un peu ce pleurnichard !» Prétextait le paternel. Il sent encore la délicate odeur de violette de sa chemise de nuit, quand elle le prenait dans ses bras et lui murmurait des : «Chutttt ! Ça va aller mon Ricou !» Jusqu'à ce qu'il s'apaise et cesse de trembler. Il se rappelle avec dégoût l'amour immodéré de son père pour les animaux. Morts de préférence et sous forme d'horribles trophées empaillés accrochés dans son salon particulier. Des têtes de sangliers, de cerfs, de chevreuils dont il avait une peur terrible. Le seul autre être vivant que cet homme acariâtre aimait plus que tout, c'était Octave, son chien de chasse. Lui avait droit à des caresses, pas le mioche qu'il avait pourtant engendré. Du moins le croyait il encore à l'époque. Éric lui, ce qu'il aimait c'était les animaux vivants, tous les animaux, avec une préférence pour les chats. Il rêvait d'en avoir un mais la présence détestable d'Octave l'interdisait. C'était une bête vicieuse qui ne perdait jamais une occasion de le mordre et de lui aboyer dessus, ce qui faisait rire son père. D'autres souvenirs le happent et le blessent. Il se rappelle l'école où il se rendait, sapé comme un milord, engoncé dans son costume de bourge de couleur bleu-marine stricte qui suscitait les quolibets de ses camarades de classe. Lesquels arboraient des tenues plus conformes à leur âge : jeans, sweat, baskets. Il les enviait, tout comme il enviait leur sandwich bien garni et dégoulinant de mayonnaise lors des sorties scolaires. Lui devait trimballer un panier pique-nique avec assiette, verre et couverts en bonne et due forme !
Tout cela ajouté au harcèlement que subissent souvent les premiers de la classe, lui fit perdre la motivation. Ses notes chutèrent ! Ce décrochage scolaire inadmissible déclencha la fureur de son père qui l'exila dans une pension très sévère loin de chez lui. Loin de sa mère qui ne s'en remit pas. C'est à cette époque-là, face au chagrin de sa femme, que cet homme fier et froid se mit en tête de lui faire un autre enfant pour la consoler. N'y parvenant pas, il fit des examens dont les résultats sans appel furent un énorme camouflet pour son orgueil de mâle dominant : il était stérile. Éric n'était donc pas de lui ! Pire, sa femme qu'il croyait loyale, soumise et dévouée, l'avait odieusement trompé ! Une seule fois, avoua-telle sous la contrainte, avec l'un de ses amis, militant écologiste de renom, de passage dans la région pour une série de conférences sur les méfaits de la pollution industrielle sur l'environnement. Il fit face, soucieux de l'opinion et continua à élever le bâtard avec une sévérité et une cruauté accrue. Quand Éric atteignit la majorité, l'homme bafoué cracha la vérité et le jeta dehors sans ménagement. Sa mère avait le cœur fragile. Elle en mourut ! Il trouva refuge chez les parents de son père biologique qui avait péri au cours d'une mission en Afrique. Auprès d'eux, entouré d'une tendresse qu'il n'avais jamais vraiment connue jusqu'alors, il finit par oublier celui qui l'avait tant fait souffrir. Jusqu'à ce qu'il l'appelle pour lui annoncer qu'il faisait de lui l'héritier de ses biens et de sa fortune.
Pas question ! Se répète-t-il ! Il est heureux avec Camille et leurs deux adorables garçons, plus leurs deux chiens et leurs trois chats ! Bientôt, il va fêter ses 40 ans au sein de sa famille, sa vraie, sa seule famille. Les parents de son véritable père seront présents. Et ceux de sa chère Camille. Loïc et Cédric s'en font une joie !
L'amour sera au rendez-vous.
 

9 commentaires:

  1. Hélas ce sont des situations qui arrivent, et qui font mal à tous pendant longtemps.
    Bises
    François

    RépondreSupprimer
  2. Bonsoir An-Maï.... On aime les histoires qui finissent bien ;-) merci, amitiés, JB

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour Anne Marie,

    Quelle magnifique plume !
    Des enfants paient parfois de lourdes conséquences pour un écart charnel alors qu'ils ne sont que l'innocence. Éric a eut la chance de retrouver la famille de son père biologique, malheureusement, tous n'ont pas cette chance.

    Bien amicalement, Marie Sylvie

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Marie-Sylvie ! Pour ton gentil commentaire et aussi pour ce mot qui ne me revenait pas : biologique, et que j'ai remplacé par naturel. Bisous

      Supprimer
    2. Bonjour AN'MAÏ,

      J'associe en général l'origine d'un père naturel lorsque le rapport, même adultère, est consenti, et celui de père biologique lorsque la naissance est suite à une agression sexuelle.
      Dans ton magnifique texte , le père naturel est bien approprié au contexte.
      Ma mère m'a fait vivre le calvaire parce que je lui aurai donné la honte de sa vie en naissant prématurément dans la cathédrale comme si j'avais choisi le lieu et le jour pour qu'elle exhibe son intimité en public, tout comme ton charmant Eric qui n'a certainement pas voulu naître d'un adultère.
      Aujourd'hui encore, je pointe les adultes pour leur immensité de manquement de logique, ce regard méprisant sur l'innocence.
      Bien amicalement, Marie Sylvie

      Supprimer
  4. Superbe texte, Anne-Marie !!! Si l'amour est au rendez-vous, quoi demander de plus !!! Bon jeudi tout entier ! Bisous

    RépondreSupprimer
  5. Bonjour ma copine
    Le plus triste dans ton histoire c'est que cela existe vraiment dans des familles.
    Heureusement la fin est heureuse.
    Je surfe un peu sur les blogs ce matin car pas de rv avant demain.
    Je vais attendre ta liste puisqu'on est le 15.
    Gros bisous ma copine

    RépondreSupprimer
  6. Et oui triste histoire mais tellement réélle. Je l'avoue, j'ai versé ma petite larme. Merci à toi à vous de me permettre de lire de telle beauté. Tendres bisous.

    RépondreSupprimer
  7. C'est plus courant qu'on ne l'imagine.
    Je n'aurais pas voulu non plus de son héritage.
    J'ai réussi à m'abonner sur ton blog.
    Bonne journée.

    RépondreSupprimer

J'aime vos petits mots et j'y réponds avec plaisir. Merci