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Phrases : décrochage scolaire - formes souples
et molles - chemise de nuit - militant écologiste - pendule énorme
- chien de chasse - une mort instantanée.
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Mots ou expressions : sapé comme un milord –
bouche – sandwich – couleur – grelotter.
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et/ou Thème : Animaux
Les
souvenirs d'Éric
Depuis
son algarade avec son père, Éric patauge
dans la boue de ses souvenirs. Ils remontrent, tous, de
ce marécage nauséabond où il les avait jetés, formes
souples et molles, noires,
puantes. C'est tellement douloureux qu'il en arrive à souhaiter une
mort instantanée à
celui qui lui a fait vivre cette enfance
si peu enviable pour un gosse de riche, soit disant né avec une
petite cuiller d'argent dans la bouche.
Il
revoit la pendule
énorme qui
trônait dans le salon. Une Comtoise en chêne, tellement grande qu'à
6 ans, il aurait presque pu se cacher dedans sans le balancier en
cuivre. Il faut dire qu'il était plutôt de l'espèce des
gringalets,
au
grand dam de son père qui ne cessait de lui répéter à quel point
il avait rêvé d'un fils qui lui ressemble, grand
et costaud comme lui !
Pas de cette espèce de fillette
maladive qu'avait pondu sa femme ! Il la revoit, elle, sa mère, qui
n'élevait jamais la voix contre le tyran mais venait en cachette
le
consoler dans son lit, le soir, quand il avait été envoyé
grelotter
pendant
des heures en plein hiver dans la remise à outils du jardinier.
«Juste histoire qu'il s'endurcisse un peu ce pleurnichard
!» Prétextait le paternel. Il sent encore la
délicate odeur de violette de
sa chemise
de nuit,
quand elle le prenait dans ses bras et lui murmurait des :
«Chutttt
! Ça
va aller mon Ricou
!» Jusqu'à ce qu'il s'apaise et cesse de trembler. Il se rappelle
avec dégoût l'amour immodéré de son père pour les animaux.
Morts de préférence et sous forme d'horribles trophées empaillés
accrochés dans son salon particulier. Des têtes de sangliers, de
cerfs, de chevreuils dont il avait une peur terrible. Le seul autre
être vivant que
cet homme acariâtre aimait
plus que tout, c'était Octave, son chien
de chasse.
Lui
avait droit à des caresses,
pas le mioche qu'il avait pourtant engendré. Du moins le croyait il encore à l'époque. Éric
lui, ce qu'il aimait c'était les animaux vivants, tous les animaux,
avec une préférence pour les chats. Il rêvait d'en avoir un mais
la présence détestable d'Octave l'interdisait.
C'était une bête vicieuse qui ne perdait jamais une occasion de le
mordre et de lui aboyer dessus, ce qui faisait rire son père.
D'autres souvenirs le happent et le blessent. Il se rappelle l'école
où il se rendait, sapé
comme un milord, engoncé
dans son costume de bourge
de
couleur bleu-marine
stricte
qui suscitait les quolibets de ses camarades de classe.
Lesquels arboraient des tenues plus conformes à leur âge : jeans,
sweat, baskets.
Il
les enviait, tout comme il enviait leur sandwich
bien garni et dégoulinant de mayonnaise lors des sorties scolaires.
Lui devait trimballer un panier pique-nique avec assiette, verre et
couverts en bonne et due forme !
Tout
cela ajouté au harcèlement que subissent souvent les premiers de la
classe, lui fit perdre la motivation. Ses notes chutèrent ! Ce
décrochage scolaire inadmissible
déclencha la fureur de son père qui l'exila dans une pension très
sévère loin de chez lui. Loin de sa mère qui ne s'en remit
pas. C'est à cette époque-là, face au chagrin de sa femme, que cet
homme fier et froid se mit en tête de lui faire un autre enfant
pour la consoler. N'y parvenant pas, il fit des examens dont les
résultats sans appel furent un énorme camouflet pour son orgueil de
mâle dominant : il était stérile. Éric n'était donc pas de lui
! Pire, sa femme qu'il croyait loyale, soumise et dévouée, l'avait
odieusement trompé ! Une seule fois, avoua-telle sous la contrainte,
avec l'un de ses amis, militant écologiste
de renom, de passage dans la région pour une série de conférences
sur les méfaits de la pollution industrielle sur l'environnement.
Il fit face, soucieux de l'opinion et continua à élever le bâtard
avec une sévérité et une cruauté accrue. Quand Éric atteignit
la majorité, l'homme bafoué cracha la vérité et le jeta dehors
sans ménagement. Sa mère avait le cœur fragile. Elle en mourut !
Il trouva refuge chez les parents de son père biologique qui avait
péri au cours d'une mission en Afrique. Auprès d'eux, entouré
d'une tendresse qu'il n'avais jamais vraiment connue jusqu'alors, il
finit par oublier celui qui l'avait tant fait souffrir. Jusqu'à ce
qu'il l'appelle pour lui annoncer qu'il faisait de lui l'héritier de
ses biens et de sa fortune.
Pas
question ! Se répète-t-il ! Il est heureux avec Camille et leurs
deux adorables garçons, plus leurs deux chiens et leurs trois chats ! Bientôt, il va fêter ses 40 ans au sein
de sa famille, sa vraie, sa seule famille. Les parents de son
véritable père seront présents. Et ceux de sa chère Camille. Loïc
et Cédric s'en font une joie !
L'amour
sera au rendez-vous.
Hélas ce sont des situations qui arrivent, et qui font mal à tous pendant longtemps.
RépondreSupprimerBises
François
Bonsoir An-Maï.... On aime les histoires qui finissent bien ;-) merci, amitiés, JB
RépondreSupprimerBonjour Anne Marie,
RépondreSupprimerQuelle magnifique plume !
Des enfants paient parfois de lourdes conséquences pour un écart charnel alors qu'ils ne sont que l'innocence. Éric a eut la chance de retrouver la famille de son père biologique, malheureusement, tous n'ont pas cette chance.
Bien amicalement, Marie Sylvie
Merci Marie-Sylvie ! Pour ton gentil commentaire et aussi pour ce mot qui ne me revenait pas : biologique, et que j'ai remplacé par naturel. Bisous
SupprimerBonjour AN'MAÏ,
SupprimerJ'associe en général l'origine d'un père naturel lorsque le rapport, même adultère, est consenti, et celui de père biologique lorsque la naissance est suite à une agression sexuelle.
Dans ton magnifique texte , le père naturel est bien approprié au contexte.
Ma mère m'a fait vivre le calvaire parce que je lui aurai donné la honte de sa vie en naissant prématurément dans la cathédrale comme si j'avais choisi le lieu et le jour pour qu'elle exhibe son intimité en public, tout comme ton charmant Eric qui n'a certainement pas voulu naître d'un adultère.
Aujourd'hui encore, je pointe les adultes pour leur immensité de manquement de logique, ce regard méprisant sur l'innocence.
Bien amicalement, Marie Sylvie
Superbe texte, Anne-Marie !!! Si l'amour est au rendez-vous, quoi demander de plus !!! Bon jeudi tout entier ! Bisous
RépondreSupprimerBonjour ma copine
RépondreSupprimerLe plus triste dans ton histoire c'est que cela existe vraiment dans des familles.
Heureusement la fin est heureuse.
Je surfe un peu sur les blogs ce matin car pas de rv avant demain.
Je vais attendre ta liste puisqu'on est le 15.
Gros bisous ma copine
Et oui triste histoire mais tellement réélle. Je l'avoue, j'ai versé ma petite larme. Merci à toi à vous de me permettre de lire de telle beauté. Tendres bisous.
RépondreSupprimerC'est plus courant qu'on ne l'imagine.
RépondreSupprimerJe n'aurais pas voulu non plus de son héritage.
J'ai réussi à m'abonner sur ton blog.
Bonne journée.