07 juillet 2025

Ainsi...Narrateur

 

Ainsi...Narrateur ou La curiosité est…

Comme chaque matin, dès l’aube, Michelle S faisait son jogging. Elle avait vu un reportage sur les bienfaits incontestables de cette pratique très matinale. Elle s’y était donc mise sine die. Une petite heure de course tranquille un peu avant le lever du soleil ; puis une bonne douche suivie d’un solide petit déjeuner et elle prenait revigorée le chemin de l’école du quartier difficile où elle tentait péniblement d’inculquer connaissances et civisme à une bande de gamins… fatigants ! Un poste qu’elle n’avait pu refuser. Célibataire, sans attaches, elle débutait dans la profession.
C’était toujours le même parcours dans le parc qui jouxtait sa résidence. Le premier lever aux aurores avait été rude mais elle s’y était faite et désormais, elle adorait ce décrassage du corps autant que de l’esprit ! En solitaire parce qu’elle était bien la seule du coin à jogger de si bon matin ! Du reste, ses collègues masculins et féminins, l’avaient mise en garde contre le risque qu’elle encourait à s’aventurer toute seule sur les sentiers presque en pleine nuit à certaines périodes de l’année.Ce qui était le cas en ce frais matin de décembre ! A une différence près, elle avait décidé in extremis de changer un peu son itinéraire habituel pour emprunter la petite rue faiblement éclairée qui longeait une usine désaffectée.
-C’est une ancienne entreprise de recyclage de textiles usagés, lui avait appris son charmant voisin de palier.
-Pierre-Marie ! S’était-il présenté presque timidement.
Un beau mec derrière ses affreuses lunettes à monture épaisse et noire. BCBG mais un peu coincé, lui avait-il semblé. Elle le voyait d’ailleurs très peu et seul le hasard les avait fait se croiser dans la cage d’escalier un dimanche matin. Son missel à la main, il se rendait visiblement à la messe dominicale ! Le dimanche, elle ne courait pas. C’était repos et une fois sur deux, elle allait voir ses parents qui habitaient à une centaine de kilomètres de là.
-Chouette ! Je suis passionnée de photo urbex ! Il faudra que j’aille y faire un tour un de ces quatre ! Au fait, moi c’est Michelle avait-elle jeté avant de s’élancer dans l’escalier.
Elle devait se dépêcher, ses parents très à cheval sur les horaires, l’attendaient pour déjeuner. Le jeune homme n’avait pas répondu. En fait, il l’avait à peine regardée lors de leur très bref échange. Elle supposait qu’au contraire d’elle, lui avait continué à descendre posément. Mais elle ne désespérait pas de parvenir à s’en faire un ami ! Il était vraiment très mignon ce mec finalement !
Mais revenons à ce frais matin de décembre. Elle devait bien s’avouer que ce bâtiment assez lugubre qui avait servi à recycler des nippes trop usagées pour servir encore et des tas d'autres déchets textiles d’après Pierre-Marie, l’attirait irrésistiblement. Elle brûlait d’y entrer, de l’explorer d’en flairer chaque recoin… C’était cela justement qui lui plaisait dans l’urbex. Capter la vie passée dans des lieux qui tombent en ruines. Il y a toujours un bon shoot à faire dans ces endroits abandonnés, pour qui sait regarder.
-Et toi, tu sais lui avait dit son frère aîné également féru de ce type de photos.
Il fallait qu’elle assouvisse son infinie curiosité. En plein jour, pas possible ! Le panneau « propriété privée, entrée interdite » était suffisamment dissuasif pour une jeune professeur des écoles censée apprendre le respect des règles et des lois à des gamins de CM2 très peu enclins à la discipline. Elle se devait d’être un bon exemple pour eux, pas vrai ? Mais à cette heure, qui risquait de la voir ? Pas un de ses élèves en tout cas ! Et elle n’avait encore jamais croisé d’autres joggers aussi matinaux qu’elle. Elle était persuadée que ce n’était pas ce matin qu’elle en rencontrerait un ! Elle allait entrer en douce, histoire de faire un premier repérage. Pour cela, elle s’était munie d’une bonne lampe de poche à large faisceau en plus de sa coutumière frontale. Ensuite, elle n’aurait plus qu’à revenir aux beaux jours, quand le soleil se lève plus tôt. Il y avait des tas de supers photos à faire dans cette vieille fabrique, elle en était sûre ! Elle s’en réjouissait à l’avance ! Ils allaient en baver d’envie ses potes du groupe « La photo ça démange » dont elle faisait partie sur Facebook!
Elle y était, enfin ! Ça la démangeait, oui ! Sa curiosité la démangeait ! Il fallait qu’elle gratte ! Fébrile, elle longea le haut mur pour trouver un accès pas trop ardu pour elle et son mètre cinquante –cinq. Sportive oui, acrobate, non !
Après quelques mètres dans une semi obscurité assez angoissante, elle trouva l’entrée principale. Une haute grille avec le fameux panneau « propriété privée ». Haute mais pas trop dure à escalader, même pour elle ! A y regarder de plus près, elle s’aperçut que la grille mangée par la rouille, était entr’ouverte. Le lourd cadenas pendouillait tristement au bout de sa chaîne inutile. Voilà qui réduisait à néant la mention « entrée interdite ».Bizarre mais qu’elle aubaine pour la fouineuse patentée ! Même si elle était un peu déçue de n’être pas la première à avoir brisé l’interdit ! Elle s’y faufila sans remord ni arrière-pensée. Pour le moment, sa lampe frontale suffisait. Elle n’eut pas besoin de forcer la grande porte de fer de l'usine. Quelqu’un d’autre l’avait fait avant elle. Zut ! Mais bon ! Elle n’allait pas se plaindre qu’on lui ait facilité la tâche ! Elle avait joué la prudence en s’armant d’une bombe lacrymo et d’un bâton de marche.
« Sait-on jamais ? » S’était-elle dite !
L’entrée de l 'entreprise désaffectée ne lui montra rien de fascinant. Des gravats, des toiles d’araignées… Elle entreprit donc d’explorer le reste de la grande bâtisse abandonnée aux rats et à la poussière de l’oubli. Ce furent d’abord un bruit étrange, comme une espèce de ronflement, puis, après quelques pas de plus, une lueur diffuse, qui stoppèrent net sa progression tâtonnante. Elle retint sa respiration, envahie d’une crainte soudaine. Puis la curiosité l’emporta sur la peur.
- J’ai dû rêver ! C’est à force de m’entendre dire que je suis trop imprudente ! Lança-t-elle à voix haute pour chasser les derniers miasmes de cette angoisse disproportionnée.
Et, le bâton pointé en avant - au moins ça tout de même - elle se dirigea courageusement vers la porte à double battant entrebâillée, d’où avaient semblé provenir le bruit et la lueur.
Ladite porte, un large sas de plexiglass en fait, laissait passer à la fois les premières lueurs de l’aube et la lumière falote d’un haut réverbère. Quant à l’espèce de ronflement, ce n’était que le souffle de la trouillarde qu’elle allait finir par devenir si elle continuait à écouter les incessantes mises en garde de ses collègues qui résonnaient dans sa tête ! Elle réprima un fou-rire qui aurait sonné faux même à ses propres oreilles et elle entra…
Dans l’ombre, près de ce qui ressemblait à une grande cuve rouge posée à l’horizontale sur un support d’aciee dans laquelle ronflait… un feu d’enfer, se tenait….Pierre- Marie. Et ce qu’il tenait bien en main, ce n’était pas un missel.
Michelle S, joggeuse très matinale et grande amatrice de photo urbex, ne vit jamais celle, très macabre, que prit un journaliste trois semaines plus tard : le four rouge de l’ancienne entreprise de recyclage, débordant de cendres.
Dans le magma fuligineux, les experts de la police scientifique, retrouvèrent quelques fragments d’os dont l'analyse de l’ADN détermina qu’il s’agissait entre autre, de ceux d’une jeune professeure des écoles qui ne s’était pas présentée dans la classe où elle enseignait, un frais matin de décembre.
L’analyse des cendres a déjà permis d’élucider plusieurs affaires de disparitions de jeunes femmes célibataires, entre 20 et 30 ans. Ainsi a-t-on retrouvé la trace carbonisée de Sarah H, secrétaire de mairie à X, disparue depuis 3 ans sans explication, celle de Bénédicte T, coiffeuse à domicile, disparue depuis deux ans, celle de Barbara A, serveuse, disparue l‘année précédente... Vu la grande quantité de cendres, et le nombre de disparitions encore inexpliquées de jeunes femmes de la région de X, les analyses se poursuivent. De bien brûlants "cold case" si l'on peut dire !
Le serial-incinérateur court toujours !
Non, il marche tranquille vous aurait assuré Michelle S

©Anne-Marie Lejeune

4 commentaires:

  1. J'adoreeeee !!!! Ah c est ce genre la qui me donne la chair de poule !
    Essaie de relever le défi d en faire une conclusion avec une autre histoire
    Ou il va être pris dans les filets de la police criminelle !! Faut pas le
    Laisser sans tirer comme ça ce serial brûleur !!!! BRAVOOOO

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  2. J'ai angoissé en te lisant d'autant plus que je cours et marche seule chaque matin même la nuit l'hiver dans les champs, en forêt

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  3. Je termine mon commentaire qui est parti avant que je le relise. Les bâtiments désaffecté ne m'attirent pas du tout. Je suis d'accord avec Ghislaine, tu pourrais transformer cette courte nouvelle en polars. Bisous

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  4. Et voilà, elle aurait dû écouter les avertissements.
    Il va falloir le retrouver ce tueur en série.
    Bravo j'aime beaucoup.
    Bonne semaine.

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J'aime vos petits mots et j'y réponds avec plaisir. Merci