Ainsi...Narrateur ou La curiosité
est…
Comme
chaque matin, dès l’aube, Michelle S faisait son jogging. Elle
avait vu un reportage sur les bienfaits incontestables de cette
pratique très matinale. Elle s’y était donc mise sine die. Une
petite heure de course tranquille un peu avant le lever du soleil ;
puis une bonne douche suivie d’un solide petit déjeuner et elle
prenait revigorée le chemin de l’école du quartier difficile où
elle tentait péniblement d’inculquer connaissances et civisme à
une bande de gamins… fatigants ! Un poste qu’elle n’avait pu
refuser. Célibataire, sans attaches, elle débutait dans la
profession.
C’était
toujours le même parcours dans le parc qui jouxtait sa résidence.
Le premier lever aux aurores avait été rude mais elle s’y était
faite et désormais, elle adorait ce décrassage du corps autant que
de l’esprit ! En solitaire parce qu’elle était bien la seule du
coin à jogger de si bon matin ! Du reste, ses collègues masculins
et féminins, l’avaient mise en garde contre le risque qu’elle
encourait à s’aventurer toute seule sur les sentiers presque en
pleine nuit à certaines périodes de l’année.Ce qui était le cas
en ce frais matin de décembre ! A une différence près, elle avait
décidé in extremis de changer un peu son itinéraire habituel pour
emprunter la petite rue faiblement éclairée qui longeait une usine
désaffectée.
-C’est
une ancienne entreprise de recyclage de textiles usagés, lui avait
appris son charmant voisin de palier.
-Pierre-Marie
! S’était-il présenté presque timidement.
Un
beau mec derrière ses affreuses lunettes à monture épaisse et
noire. BCBG mais un peu coincé, lui avait-il semblé. Elle le voyait
d’ailleurs très peu et seul le hasard les avait fait se croiser
dans la cage d’escalier un dimanche matin. Son missel à la main,
il se rendait visiblement à la messe dominicale ! Le dimanche, elle
ne courait pas. C’était repos et une fois sur deux, elle allait
voir ses parents qui habitaient à une centaine de kilomètres de là.
-Chouette
! Je suis passionnée de photo urbex ! Il faudra que j’aille y
faire un tour un de ces quatre ! Au fait, moi c’est Michelle
avait-elle jeté avant de s’élancer dans l’escalier.
Elle
devait se dépêcher, ses parents très à cheval sur les horaires,
l’attendaient pour déjeuner. Le jeune homme n’avait pas répondu.
En fait, il l’avait à peine regardée lors de leur très bref
échange. Elle supposait qu’au contraire d’elle, lui avait
continué à descendre posément. Mais elle ne désespérait pas de
parvenir à s’en faire un ami ! Il était vraiment très mignon ce
mec finalement !
Mais
revenons à ce frais matin de décembre. Elle devait bien s’avouer
que ce bâtiment assez lugubre qui avait servi à recycler des
nippes trop usagées pour servir encore et des tas d'autres déchets
textiles d’après Pierre-Marie, l’attirait irrésistiblement.
Elle brûlait d’y entrer, de l’explorer d’en flairer chaque
recoin… C’était cela justement qui lui plaisait dans l’urbex.
Capter la vie passée dans des lieux qui tombent en ruines. Il y a
toujours un bon shoot à faire dans ces endroits abandonnés, pour
qui sait regarder.
-Et
toi, tu sais lui avait dit son frère aîné également féru de ce
type de photos.
Il
fallait qu’elle assouvisse son infinie curiosité. En plein jour,
pas possible ! Le panneau « propriété privée, entrée interdite »
était suffisamment dissuasif pour une jeune professeur des écoles
censée apprendre le respect des règles et des lois à des gamins de
CM2 très peu enclins à la discipline. Elle se devait d’être un
bon exemple pour eux, pas vrai ? Mais à cette heure, qui risquait de
la voir ? Pas un de ses élèves en tout cas ! Et elle n’avait
encore jamais croisé d’autres joggers aussi matinaux qu’elle.
Elle était persuadée que ce n’était pas ce matin qu’elle en
rencontrerait un ! Elle allait entrer en douce, histoire de faire un
premier repérage. Pour cela, elle s’était munie d’une bonne
lampe de poche à large faisceau en plus de sa coutumière frontale.
Ensuite, elle n’aurait plus qu’à revenir aux beaux jours, quand
le soleil se lève plus tôt. Il y avait des tas de supers photos à
faire dans cette vieille fabrique, elle en était sûre ! Elle s’en
réjouissait à l’avance ! Ils allaient en baver d’envie ses
potes du groupe « La photo ça démange » dont elle faisait partie
sur Facebook!
Elle
y était, enfin ! Ça la démangeait, oui ! Sa curiosité la
démangeait ! Il fallait qu’elle gratte ! Fébrile, elle longea le
haut mur pour trouver un accès pas trop ardu pour elle et son mètre
cinquante –cinq. Sportive oui, acrobate, non !
Après
quelques mètres dans une semi obscurité assez angoissante, elle
trouva l’entrée principale. Une haute grille avec le fameux
panneau « propriété privée ». Haute mais pas trop dure à
escalader, même pour elle ! A y regarder de plus près, elle
s’aperçut que la grille mangée par la rouille, était
entr’ouverte. Le lourd cadenas pendouillait tristement au bout de
sa chaîne inutile. Voilà qui réduisait à néant la mention «
entrée interdite ».Bizarre mais qu’elle aubaine pour la fouineuse
patentée ! Même si elle était un peu déçue de n’être pas la
première à avoir brisé l’interdit ! Elle s’y faufila sans
remord ni arrière-pensée. Pour le moment, sa lampe frontale
suffisait. Elle n’eut pas besoin de forcer la grande porte de fer
de l'usine. Quelqu’un d’autre l’avait fait avant elle. Zut !
Mais bon ! Elle n’allait pas se plaindre qu’on lui ait facilité
la tâche ! Elle avait joué la prudence en s’armant d’une bombe
lacrymo et d’un bâton de marche.
«
Sait-on jamais ? » S’était-elle dite !
L’entrée
de l 'entreprise désaffectée ne lui montra rien de fascinant. Des
gravats, des toiles d’araignées… Elle entreprit donc d’explorer
le reste de la grande bâtisse abandonnée aux rats et à la
poussière de l’oubli. Ce furent d’abord un bruit étrange,
comme une espèce de ronflement, puis, après quelques pas de plus,
une lueur diffuse, qui stoppèrent net sa progression tâtonnante.
Elle retint sa respiration, envahie d’une crainte soudaine. Puis la
curiosité l’emporta sur la peur.
-
J’ai dû rêver ! C’est à force de m’entendre dire que je suis
trop imprudente ! Lança-t-elle à voix haute pour chasser les
derniers miasmes de cette angoisse disproportionnée.
Et,
le bâton pointé en avant - au moins ça tout de même - elle se
dirigea courageusement vers la porte à double battant entrebâillée,
d’où avaient semblé provenir le bruit et la lueur.
Ladite
porte, un large sas de plexiglass en fait, laissait passer à la
fois les premières lueurs de l’aube et la lumière falote d’un
haut réverbère. Quant à l’espèce de ronflement, ce n’était
que le souffle de la trouillarde qu’elle allait finir par devenir
si elle continuait à écouter les incessantes mises en garde de ses
collègues qui résonnaient dans sa tête ! Elle réprima un fou-rire
qui aurait sonné faux même à ses propres oreilles et elle entra…
Dans
l’ombre, près de ce qui ressemblait à une grande cuve rouge
posée à l’horizontale sur un support d’aciee dans laquelle
ronflait… un feu d’enfer, se tenait….Pierre- Marie. Et ce qu’il
tenait bien en main, ce n’était pas un missel.
Michelle
S, joggeuse très matinale et grande amatrice de photo urbex, ne
vit jamais celle, très macabre, que prit un journaliste trois
semaines plus tard : le four rouge de l’ancienne entreprise de
recyclage, débordant de cendres.
Dans
le magma fuligineux, les experts de la police scientifique,
retrouvèrent quelques fragments d’os dont l'analyse de l’ADN
détermina qu’il s’agissait entre autre, de ceux d’une jeune
professeure des écoles qui ne s’était pas présentée dans la
classe où elle enseignait, un frais matin de décembre.
L’analyse
des cendres a déjà permis d’élucider plusieurs affaires de
disparitions de jeunes femmes célibataires, entre 20 et 30 ans.
Ainsi a-t-on retrouvé la trace carbonisée de Sarah H, secrétaire
de mairie à X, disparue depuis 3 ans sans explication, celle de
Bénédicte T, coiffeuse à domicile, disparue depuis deux ans, celle
de Barbara A, serveuse, disparue l‘année précédente... Vu la
grande quantité de cendres, et le nombre de disparitions encore
inexpliquées de jeunes femmes de la région de X, les analyses se
poursuivent. De bien brûlants "cold case" si l'on peut
dire !
Le
serial-incinérateur court toujours !
Non,
il marche tranquille vous aurait assuré Michelle S
©Anne-Marie
Lejeune
J'adoreeeee !!!! Ah c est ce genre la qui me donne la chair de poule !
RépondreSupprimerEssaie de relever le défi d en faire une conclusion avec une autre histoire
Ou il va être pris dans les filets de la police criminelle !! Faut pas le
Laisser sans tirer comme ça ce serial brûleur !!!! BRAVOOOO
J'ai angoissé en te lisant d'autant plus que je cours et marche seule chaque matin même la nuit l'hiver dans les champs, en forêt
RépondreSupprimerJe termine mon commentaire qui est parti avant que je le relise. Les bâtiments désaffecté ne m'attirent pas du tout. Je suis d'accord avec Ghislaine, tu pourrais transformer cette courte nouvelle en polars. Bisous
RépondreSupprimerEt voilà, elle aurait dû écouter les avertissements.
RépondreSupprimerIl va falloir le retrouver ce tueur en série.
Bravo j'aime beaucoup.
Bonne semaine.