Et
Dieu créa le Monde. Et il vit que cela était triste.
Alors
il le peignit et pour ce faire, il inventa les couleurs.
Il
fit le bleu pour le ciel et pour la mer dans laquelle il se reflète.
Et aussi le bleu-vert, pour l'océan.
Il
fit le gris pour les jours de pluie, car sans la pluie, pas
d'arc-en-ciel.
Il
fit le bleu-nuit, qui n'a rien à voir avec le noir. Il y peignit
l'argent et l'opale pour la lune, et l'or pour les étoiles...
Il
fit un jaune si éblouissant pour le soleil, que même Lui ne
pouvait le regarder en face sans brûler ses yeux divins.
Puis
il fit le rouge flamboyant pour le soleil couchant. Cette couleur-là
irait très bien aussi pour les volcans en éruption les coulées de
lave, les flammes et les forêts d'automne. Il y ajouta des touches
d'orange, de cuivre, de rouille...
Il
fit toutes les sortes de nuances de vert qui se puisse imaginer, pour
les feuilles des arbres, l'herbe, les mousses et les fougères, les
tiges des fleurs, les milliards de plantes que son esprit immensément
créatif avait fait pousser sur la planète.
Il
composa une palette extraordinaire pour peindre les pétales des
millions d'espèces de fleurs qu'il avait créées, pour habiller les
millions d'espèces animales.
Pour
la terre nourricière de toutes ces espèces, il fit des tons riches
et chauds d'ocre, de bruns et de noirs.
Il
fit le blond pour les blés murs, et les multiples tons de sable,
pour les plages et les déserts de dunes.
Il
fit le blanc pur et scintillant pour la neige, le givre et la glace,
le blanc-bleuté pour la banquise.
Il
fit le transparent pour l'eau...
Le
monde minéral eut droit de sa divine part, à la même attention.
Rochers, cailloux, pierres précieuses ou non, furent parés de mille
couleurs.
Dieu
débordait d'imagination. Et il avait le temps, tout le temps !
L'éternité !
Chaque
jour il trempait son pinceau magique dans la palette irisée de
l'arc-en-ciel et il inventait de nouvelles couleurs puis de nouvelles
nuances à chacune d'elles. Et il peignait, peignait sans jamais se
lasser...
Il
mettait tant de cœur à l'ouvrage, que bientôt ce fut fini.
Lorsqu'il
eut mis la dernière touche de couleur, il admira son tableau et vit
que cela était beau !
Alors
il créa les spectateurs de son œuvre magistrale, les Hommes.
A
eux aussi il donna des couleurs différentes, mais pas trop ! Juste
ce qu'il fallait pour qu'ils puissent se distinguer de leur décor
multicolore… Il fit donc des blancs plus ou moins blancs, des noirs
plus ou moins noirs, des rouges plus cuivrés que rouge au demeurant,
des bronzés plus ou moins bronzés et des jaunes plus ou moins
jaunes. C'était à son sens déjà pas mal ! De toute façon, il
leur octroyait en plus une couleur invisible à l'œil nu :
l'intelligence !
Quand
ce fut fini, il se dit que l'ensemble de sa Création était bien
belle et qu'il pouvait à présent se reposer.
Le
problème, c'est qu'il se reposa tant et si longtemps, qu'il en
oublia son tableau dans un coin de la Voie Lactée.
Quand
il se réveilla enfin, les Humains, ses derniers coups de pinceau,
avaient repeint le Monde à leur façon : rouge sang, couleur de
guerre et de massacre, gris fumée, couleur de béton et de
pollution, terre brûlée, noir de suie, couleur de forêts
dévastées, de mort, de misère, de famine, de désespoir...
Il
regarda et vit que cela était triste !
Où
étaient ses merveilleuses couleurs ?
Alors
il prit un gros chiffon, de l'essence térébenthine et il effaça à
grands coups rageurs, les affreux barbouillages de ces sales gamins
d'Hommes, et eux avec pendant qu'il y était !
Peut-être
allait-il repeindre un nouveau Monde ?
Ailleurs...