Au cœur le plus profond de la forêt, non loin du petit
village de Trégadec, vit en solitaire, la dernière fée du monde.
Son nom, imprononçable pour un humain peut se traduire à peu près
ainsi : Lleweelin. Plus aucun bois, aucune forêt nulle-part sur
la planète n’abrite la moindre magie. Fées, lutins, trolls, elfes,
gnomes, farfadets, licornes et autres membres du peuple féérique,
ont tous fini par déserter les uns après les autres, ces lieux
jadis si propices à leur existence ! Même la légendaire
Brocéliande n’est désormais plus qu’une forêt comme les
autres, seulement habitée par les hôtes habituels des sous-bois :
oiseaux, cerfs et biches, sangliers... Des hôtes discrets et
craintifs généralement invisibles aux yeux des promeneurs.
Nos frères animaux que l’on dit « sauvages » ont
tendance à fuir les Humains, sûrement parce que pour eux, c’est
nous qui sommes des sauvages !
Pour en revenir à la magie ancestrale, seule la forêt de Trégadec
en abrite donc encore une minuscule étincelle plus très loin
de s’éteindre ! Et pour cause ! Car vous le savez bien,
pour que vive la magie, il faut y croire ! Or, à Trégadec
comme ailleurs la Technologie est reine ! Une souveraine
froide, impitoyable. Sans âme ! Le petit hameau oublié,
perdu au fin fond de la Bretagne a longtemps échappé à sa
tyrannie, protégé qu’il était par les enchantements tissés par
le peuple féérique caché dans sa forêt. Des enchantements
puissants, renforcés par l’imagination fertile de la plupart des
enfants et par celle de certains adultes, férus de contes et de
belles histoires qu’ils se plaisaient à raconter aux bambins pour
les endormir.
Puis le progrès a fait son apparition.
D’abord, c’est la route qui est venue jusqu’à Trégadec.
Une belle route carrossable, bien loin du chemin plein d’ornières
qu’il fallait emprunter auparavant pour y venir des autres
villages ! Et cela sembla bel bon aux villageois, de ne plus
avoir l’impression d’être isolés du arrivées les inventions de la grande cité. Les tracteurs ont remplacé bœufs et
chevaux dans les champs. Les voitures ont remplacé les charrettes,
les vélos et les pieds. L’eau courante a remplacé les puits
mais surtout, il y a eu de moins en moins de balades au
cœur de la forêt pour aller boire l’eau de la source magique
censée protéger de mille maux et favoriser la fécondité !
« Seulement censée ! Mais c’était vrai, dit Lleweelin
puisqu’ils y croyaient »
Puis l’Électricité, l’arme la plus pernicieuse de la reine
Technologie, est entrée dans tous les foyers ! Là encore,
cela a paru merveilleux aux habitants de Trégadec !
Fini les bougies et autres lampes à huile pour s’éclairer !
Il leur suffisait désormais d’appuyer sur un interrupteur pour
avoir de la lumière ! Magique ! Et ce n’était que le
début ! L’invasion des braves soldats de sa majesté
Technologie allait se poursuivre jusqu’à la disparition
totale de l’ancien mode de vie. S’installèrent en despotes
dans les maisons, réfrigérateurs, lave-linge, lave-vaisselle,
aspirateurs et autres petits robots ménagers pour simplifier la vie.
Puis vinrent le téléphone, la radio, la télévision, plus
tyranniques encore… Adieu les veillées entre amis les beaux soirs
d’été, les promenades du dimanche dans la forêt enchantée. On
n’allait plus au muguet ou aux violettes le printemps venu !
C’était plus facile de se rendre en ville pour en acheter !
On n’en était pas encore aux loisirs programmés, clefs en main,
mais on allait bientôt y arriver !
Les seuls qui résistaient encore à la despotique reine, étaient
les anciens, fermement attachés aux « bonnes vieilles
méthodes et valeurs » comme ils s’entêtaient à le
répéter !
« Indécrottables ! » Se moquaient les plus jeunes.
Et il y avait les enfants. Leur belle imagination, leurs jeux, leurs
rêves d’aventures extraordinaires…Tout cela, nourri par les
livres et par les histoires fabuleuses que leur contaient leurs
grands-parents, en faisait les meilleurs résistants et du même
coup, des alliés de poids pour le peuple féérique de la
forêt de Trégadec. Mais les derniers indécrottables ont fini
par disparaître et les enfants ont grandi en même temps que le
progrès gagnait du terrain dans le village ! Le coup de
grâce a été porté par le développement brutal de
l’informatique : consoles de jeux, ordinateurs, réseau
internet, tablettes, smartphones high-tech…Plus de temps pour les
livres et les belles histoires. Plus de temps pour les jeux
d’aventure, les cabanes dans le bois. Plus de place pour les rêves
et l’imaginaire. Plus de place pour les contes !
Plus de place pour les fées…
Voilà pourquoi dans la forêt, la magie s’est peu à peu éteinte
! Voilà pourquoi Il n’y reste plus qu’une fée, vieille,
triste, désespérée. Presque moribonde.Mais pas encore disparue,
non pas encore ! Pourquoi ? Me demanderez-vous peut-être.
Oui pourquoi ? Parce que qu’à Trégadec, une fillette
plus curieuse que les autres gamins du village, vient de
retrouver un vieux livre de contes au fond d’une malle. Elle a
soufflé sur la poussière qui le recouvrait et l’a ouvert…
C’est un bel après- midi de mai. La forêt embaume. Assise sur une
souche moussue, le livre ouvert sur les genoux, Maiwenn rêvasse, les
yeux mi-clos. L’histoire qu’elle vient de lire l’a transportée
dans un autre monde. Un monde féérique ! Autour d’elle,
la clairière se réveille. Toute la forêt se réveille. Les oiseaux
chantent à tue-tête. Un cerf majestueux, une gracieuse biche et un
adorable faon s’approchent d’elle sans aucune crainte.Soudain,
une douce présence la tire de sa torpeur bienheureuse. Une voix
chantante comme la source magique où elle a bu tout à l’heure,
chuchote à son oreille :
-Bonjour Maïwenn !
Elle ouvre les yeux. Devant elle se tient une
merveilleuse et extraordinaire créature. Aussi belle que la
fée de son livre. Plus même ! Et vivante ! Aussi vivante
que le grand cerf qui la regarde avec affection, elle en jurerait.
Comme la regardent la biche et le faon. Aussi vivante que les oiseaux
qui piaillent joyeusement dans les branches. Aussi vivante que les
arbres verdoyants de ce jour de printemps !
-Ohhhh ! Fait-elle, les yeux écarquillés en découvrant
l’incroyable spectacle qui se déroule juste derrière la jolie
dame. Une fée comme celle de son livre, assurément !
-Oui, je le suis ! On m’appelle Lleweelin. Lui répond
la jolie dame alors qu’elle n’a même pas posé sa question. Et
ce que tu vois là, c’est tout le peuple féérique de la forêt de
Trégadec que tu viens de réveiller. Merci Maïwenn !
Enfants du monde et vous aussi les grands, sachez que la magie ne
s’éteindra pas tant qu’un seul d’entre vous continuera à y
croire.
©A-M
Lejeune
Ecrit le 3-06-2018 pour un défi d'Evy
NB : J'ai inventé Trégadec. Et pour le reste...
Comme c'est BON, Anne-Marie !!! J'♥ beaucoup ! Bonne soirée de ce jeudi. Gros bisous
RépondreSupprimerAh l'informatique et dérivés, un coup dur pour les livres de contes, aux malles dormant, enfants soyez encore curieux de ces histoires ;-) bonne nuit, amitiés, jill
RépondreSupprimerMerveilleuse histoire ma chère Anne Marie, j'ai adoré te lire et j'ai même dévoré ce conte comme la petite fille que je suis :) Ah la technologie, elle n'a pas fini d'évoluer mais si on le regrette déjà ça va être pire encore !
RépondreSupprimerMerci à toi pour ce doux moment d'allégresse, belle et douce soirée, gros bisous tendresse, Lou
J'aime toujours autant te lire.
RépondreSupprimerOui, parfois, il suffit d'y croire pour que ça perdure.
Bon week-end.